Cela fait deux mois que les troupes russes ont envahi l’Ukraine. Les Ukrainiens qui étaient déjà en France de longue date restent attachés à leur pays. Ils suivent ces événements à distance avec beaucoup d’attention et d’émotion. Certains étudient à Saint-Quentin-en-
Yvelines, à l’UVSQ, comme Arina Smetanina, qui suit un master Management et communication des organisations.

« Je suis tout le temps cette situation. Après avoir vécu la situation au Donbass, je savais qu’il y aurait une invasion à Kiev, c’était juste une question de temps. Cet hiver, je suis allée en Ukraine pour mes vacances et il y avait beaucoup de rumeurs sur cette question. Donc c’était à 90 % sûr que ça se passerait », confie la jeune femme de 24 ans, originaire du Donbass, à Lougansk. Elle a déménagé d’abord à Kiev dès le début du conflit au Donbass en 2014, avant d’arriver en France il y a trois ans pour ses études.

Autant dire que les événements se déroulant dans son pays d’origine ont comme un air de déjà vu. La peur, elle, est toujours là, notamment pour sa famille. « La première semaine était la plus difficile pour moi, car ma mère était encore à Kiev. Maintenant, elle est en Pologne, nous indiquait-elle le 12 avril. Ma mère a deux sœurs, et elles ont des enfants. Elles sont parties en Pologne, car une bombe est tombée juste à côté de ma maison. Je l’ai appelée et lui ai demandé de partir. » En revanche, elle connaissait une fille travaillant pour une agence de presse et qui a été tuée « près de Boutcha ou de Irpin ».

Antonii Dubeu est lui en France depuis beaucoup plus longtemps. Parti vers l’Hexagone il y a dix ans pour rejoindre son père, il étudie aujourd’hui le droit international et européen à l’UVSQ. L’étudiant de 22 ans a lui semblé surpris par l’invasion russe, et parle d’une « désillusion ». « C’était vraiment inattendu, estime-t-il. Il y a encore trois mois, je disais toujours que la Russie était un pays autoritaire, mais qui pourrait basculer vers la démocratie. […] Là, ce n’est plus autoritaire, mais totalitaire. » Il tempère toutefois cet effet de surprise en ajoutant que « cette menace, on l’a depuis longtemps » et que « pour les Ukrainiens, la guerre n’a pas commencé le 24 février, mais depuis huit ans  » et le début des événements au Donbass.

Arina Smetanina, 24 ans, en master Management et communication des organisations, et Antonii Dubeu, 22 ans, étudiant en droit international et européen, sont en France depuis respectivement trois et dix ans.

Né à Tchernivtsi, près de la frontière avec la Roumanie, Antonii Dubeu affirme se sentir « extrêmement concerné par ce qui se passe ». « Il y a des images horribles, [mais] si on ne les voit pas, on ne va pas se rendre compte de la gravité des choses », insiste-t-il. Il s’inquiète aussi pour le sort de sa famille restée au pays. « On a pensé à aller chercher ma famille en Ukraine, mais ils étaient complètement contre.[…] Ma grand-mère s’est dit : ‘‘Même si la guerre se rapproche, je ne quitterai pas mes animaux, je ne peux pas quitter mon chez moi’’. »

Point commun entre les deux étudiants sur l’attachement de leur famille à leur terre d’origine donc. Ils se rejoignent aussi au sujet des rapports compliqués avec les Russes. Le mot de « haine » est même prononcé par Arina Smetanina. « Même après Boutcha, les Russes ont continué à ne pas s’exprimer, s’insurge-t-elle. J’ai compris que, jusqu’à la fin de mes jours, j’aurai une grande haine, peut-être pas pour tous les Russes, mais la plupart, car même les amis [Russes] que j’ai en France, ils habitent en France depuis longtemps, sont étudiants ici aussi, 90 % ne reviendront plus en Russie […]. Mais même en habitant en France, ils gardent le silence. »

Antonii Dubeu garde lui aussi un profond ressentiment : « Les Russes, ça a toujours été mes frères. […] En 2016-2017, on pouvait aller avec le drapeau ukrainien à Moscou, personne ne venait nous taper dessus, au contraire. […] J’ai des amis russes et je discute toujours avec eux, même si c’est plus difficile. Mais là je ne pourrai pas leur pardonner. Pas le peuple lui-même, mais j’aurai du mal à pardonner tout ce qui se passe. »

Engagé dans des associations ukrainiennes en France, l’étudiant prévoit de reprendre des collectes lorsqu’il aura fini ses partiels qui sont, de son aveu, « les pires partiels de [s]a vie ». « Je veux participer le plus possible, me sentir utile. Je me sens un peu lâche d’être en France alors que mon peuple souffre en Ukraine », affirme-t-il. Arina Smetanina, elle, assure qu’elle va « continuer à prendre la parole sur les réseaux sociaux », mais aussi déposer de l’aide humanitaire.

Elle dit croire « vraiment » à une victoire ukrainienne dans cette guerre et parle même d’une fin cet été. Antonii Dubeu semble lui moins optimiste : « Je ne pense pas qu’il y aura une issue favorable à ce conflit. Pour Poutine, l’Ukraine ne doit pas exister. […] Si l’Ukraine perd la guerre, il n’y aura plus d’Ukraine […], mais si la Russie se retire, il y aura toujours une Russie. Donc je ne vois pas où est la menace pour les Russes. »

CREDIT PHOTO : ILLUSTRATION