Au 36e jour de grève, une intersyndicale menée par la CGT et Force ouvrière a appelé à manifester dans toute la France contre la réforme des retraites. Le jeudi 9 janvier, les transports en commun ont donc encore une fois été perturbés dans toute l’Île-de-France et à Saint-Quentin-en-Yvelines. Tout le monde ne s’est pas rendu sur son lieu d’études ou de travail. Certains ont pratiqué le télétravail. D’autres, comme David, chargé des virements à l’international au Crédit agricole de Saint-Quentin-en-Yvelines a pu se rendre sur le site de Montrouge, beaucoup plus proche de chez lui. Les étudiants de l’Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) ont quant à eux obtenu le report de leurs examens. Puis, il y a ceux qui n’ont pas eu le choix et qui ont dû tant bien que mal se déplacer. C’est le cas de Subathra, ingénieure logiciel chez Sodexo, qui s’est rendue à Guyancourt en Uber depuis Courbevoie.

Cela fait maintenant un peu plus d’un mois que la grève dans les transports a changé les habitudes des travailleurs et/ou habitants saint-quentinois. Ils se sont organisés et cela fait désormais partie de leur routine. Certaines entreprises et universités ont fait de même, en offrant à leurs salariés ou à leurs étudiants d’autres manières de travailler. D’autant plus que la situation du côté des transports va en s’arrangeant. Le jour de la manifestation du 9 janvier, 1 RER sur 2 a circulé en heures de pointe, 1 transilien sur 2 pour la ligne U, et 1 sur 3 pour la ligne N, selon l’application Citymapper. C’est mieux qu’il y a un mois, où un transilien circulait toutes les heures en heures de pointe, et aucun parfois en période creuse.

Les voyageurs le ressentent. « Ça va mieux depuis une semaine », confirme Francis sur le quai de la gare de Trappes, le 6 janvier à 19 h. Travailleur dans le bâtiment, il rentre chez lui à Rueil-Malmaison. Il affirme avoir gagné une heure le matin comparé à il y a un mois : « Avant je me levais à 4 h 30 et maintenant je me lève à 5 h 30, au lieu de 6 h quand il n’y avait pas de grèves. » À l’UVSQ aussi, on observe une amélioration. Presque tous les élèves en master responsabilité sociétale des entreprises et environnement sont en cours le lundi 6 janvier, avec le maître de conférences en sciences économiques, Charlotte Da Cunha, soit 27 sur 28, selon l’enseignante.

Les entreprises voient également un changement. À 9 h du matin le jeudi 9 janvier, le Technocentre Renault à Guyancourt a déjà 7 000 de ses salariés en poste sur les 10 000, selon Philippe Brismontier, le directeur des établissements Renault d’Île-de-France. « Le taux de fréquentation est assez similaire à l’ordinaire, observe-t-il. Les premiers jours des grèves, il y avait moins de gens. Mais maintenant, le Technocentre est plein comme d’habitude. »

Début décembre, c’était beaucoup plus compliqué. Les voyageurs avaient plus de difficultés à se déplacer. Ils se levaient à l’aube pour prendre un train plus tôt, et devaient attendre longtemps entre chaque correspondance. Gulnara, salariée au Crédit agricole en IT, part tous les jours de Courbevoie pour venir à Saint-Quentin-en-Yvelines. Au début des grèves, elle patientait pendant de longues heures. « J’avais deux heures dans les transports et après à côté, je devais attendre entre 45 minutes et 1 h 30 », explique-t-elle.

Francis a également subi les nombreuses correspondances. « J’avais jusqu’à quatre correspondances juste pour venir au travail », récapitule-t-il. Sans compter que les bus étaient pris d’assaut : « On ne peut pas rentrer parfois tellement c’est plein. » Autre difficulté, les informations présentes sur les différents sites internet référençant les horaires de départ. Elles n’étaient pas toujours mises à jour. Gulnara en a déjà fait les frais. « Suivant les sites, il n’y a pas toujours les mêmes informations. Une fois, on a regardé la plateforme RATP pour voir s’il y avait des trains, mais arrivés sur place, il n’y en avait pas », raconte-t-elle.

Autre difficulté, les informations présentes sur les différents sites, référençant les horaires de départ. Elles n’étaient pas toujours mises à jour.

Ces problèmes de transport ont même conduit certains à partir plus tôt du travail pour ne pas rentrer trop tard. Mais toutes les entreprises ne sont pas conciliantes et certaines comptabilisent les départs anticipés comme des absences. Francis est dans ce cas et estime sa perte financière à une trentaine d’heures en un mois, selon ses affirmations. « J’ai essayé de m’arranger pour rentrer tôt mais on ne m’a pas compté les heures », confie-t-il.

Néanmoins, ces aléas n’empêchent pas une grande partie des voyageurs de continuer à soutenir la grève contre la réforme des retraites. « S’ils font ça, c’est pour changer les choses. Je ne veux pas partir en retraite le dos cassé », affirme Francis. Eduardo, responsable des ressources humaines chez JCDecaux, à Plaisir, est du même avis. « Je suis pour la grève. […] Je veux aussi que ça s’arrête car je veux qu’ils trouvent un terrain d’entente », avoue-t-il, avant d’ajouter que pour lui la grève dans les transports est finalement supportable.

Certains employeurs sont en effet conciliants et offrent plusieurs formules à leurs salariés pour faciliter leurs déplacements. Par exemple le télétravail est devenu une formalité, pour les postes qui le permettent, comme ceux dans le tertiaire. Eduardo peut travailler depuis chez lui environ une fois par semaine, selon ses déclarations. Gulnara, du Crédit agricole avoue même en avoir un peu abusé : « Je me suis permis pendant les vacances scolaires de faire plus de télétravail. » En revanche d’autres n’ont pas pu, en raison de la confidentialité et de la sensibilité de leur métier. C’est le cas de David qui s’occupe des virements à l’international. À la place, ce salarié du Crédit agricole à SQY peut travailler depuis un autre site plus proche de chez lui, situé à Montrouge.

La société Banque populaire Val de France offre également la possibilité à ses salariés de travailler depuis une autre agence. De plus, elle offre un forfait annuel de 30 jours de télétravail. Cette formule existe depuis l’année dernière, en raison des chutes de neige et des précédentes manifestations.

« Il suffit d’avoir l’accord du manager. […] Ceux qui sont équipés (soit 1/3 des collaborateurs du siège, Ndlr) peuvent travailler de chez eux ou dans des agences à proximité de leur domicile », explique Denis Stevenard, le directeur des ressources humaines de Banque populaire Val de France. Sachant qu’en moyenne, pendant la grève, entre un salarié du siège sur trois et un sur deux sont en télétravail. D’autres grandes entreprises sont dans le même cas, comme Enedis à Montigny-le-Bretonneux, le Technocentre Renault à Guyancourt ou encore le Crédit agricole.

Au-delà du travail à distance, les entreprises informent aussi leurs salariés sur la possibilité de faire du covoiturage. « Quand on a des difficultés dans les transports entre Paris et SQY, les gens se sont organisés pour mettre à disposition leur voiture à Montigny-le-Bretonneux », illustre Karine Laguardia, déléguée ressources humaines d’Enedis Île-de-France, sachant que le site est plus accessible en voiture, surtout en période de grève.

Mais le parking du site d’Enedis à Montigny arrive vite à saturation. « C’est aussi pour ça qu’on favorise le covoiturage car il n’y a plus de place », révèle-t-elle. Le Technocentre encourage également cette pratique, mais en collaboration avec l’application de covoiturage domicile-travail Klaxit. Le Crédit agricole propose quant à lui une navette jusqu’à SQY, depuis la station Charles de Gaulle-Étoile, selon les informations d’un salarié.

Également à l’UVSQ, des efforts sont faits pour que les élèves ne soient pas pénalisés en période de grève. En master responsabilité sociétale des entreprises et environnement, le maître de conférences Charlotte Da Cunha propose à ses élèves des cours en visioconférence. « Mes étudiants ont en partie eu du mal à se déplacer. Ça a impacté la présence en cours, témoigne-t-elle. On a parfois la moitié de la promo présente. » Sachant qu’ils sont 28 dans ce master en apprentissage. « On a également adapté les horaires », leur permettant de faire coïncider les heures de train avec ceux des cours, indique le maître de conférences.

En revanche, tous les élèves de l’UVSQ ne bénéficient pas de cette adaptation. « Ce master a une composante particulière. […] Alors qu’à l’UFR des sciences sociales, entre un quart voire un tiers des élèves manque parfois », révèle la professeure. Et ces étudiants, qui représentent une promotion plus importante, n’ont pas accès à la visioconférence.

L’accès aux examens est une autre de leurs préoccupations. Heureusement, le président de l’UVSQ, Alain Bui, a annoncé dans un post Facebook, le 7 janvier, le report des épreuves prévues le 9 janvier 2020. « En raison de la journée de manifestation nationale interprofessionnelle, les examens prévus ce jour seront reportés à une date ultérieure », peut-on lire sur la page Facebook de l’université.

Mais les examens et contrôles continus des autres jours de la semaine ont été maintenus. Les étudiants pourront néanmoins plaider leur cause. « [Ceux] qui ne pourraient se rendre à un examen ou à un contrôle continu pourront, s’ils le souhaitent, faire une demande d’absence justifiée, qui leur sera accordée d’office par l’université » révèle Alain Bui. En attendant, la grève dans les transports ne semble pas près de s’arrêter. L’intersyndicale appelle à de nouvelles actions les 14, 15 et 16 janvier.