« Honorer les morts, avertir les vivants », c’est sur ces mots qu’une vingtaine d’étudiants ont conclu leur reconstitution du procès des médecins nazis de Nuremberg, jouée le 26 octobre. Ce soir-là, dans l’amphithéâtre de l’UFR Simone Veil, c’est l’ovation générale du côté des élèves et des enseignants venus à la première de cette pièce de théâtre, mise en scène par Sarah Tik et Hédi Tillette, interprétée par des étudiants en droit, en santé, et en études de médecine, d’infirmière et de sage-femme. « Cet événement à la fois historique, moral, mondial et contemporain sur la bioéthique et le droit est souvent inconnu du public », annonce à la fin des applaudissements Alain Bui, le président de l’Université Versailles–Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ).

Un premier travail sur la loi Veil

En effet, pendant cette représentation du procès de Nuremberg, il s’agit de juger le médecin allemand Wilhelm Beiglböck, pour crime de guerre et crime contre l’humanité. Il avait réalisé des expériences « dans la torture invalidante […] contre le droit international » et sans le consentement des sujets. Une expérience est d’ailleurs mise en exergue, à savoir, celle de rendre potable l’eau de mer, qui a conduit les sujets à une soif extrême et parfois même à leur mort.

Ainsi, c’est à la suite de ce procès que le code Nuremberg et les principes juridiques qui fondent l’éthique de la recherche biomédicale sont nés. Par exemple, ce code est à l’origine de la loi Huriet-Sérusclat de 1988, rendant obligatoire le consentement éclairé des participants à la recherche biomédicale, selon l’UVSQ. Puis, il a donné naissance à celle de 2004, sur la notion de consentement pour les mineurs, ou encore aux dernières en 2021, encadrant les recherches sur les embryons et les cellules souches.

Ce projet Nuremberg a donc pour but de sensibiliser les étudiants à ces évolutions scientifiques encore actuelles, grâce à un enseignement pluridisciplinaire. « Le point de départ était de mener une réflexion approfondie sur la valeur fondamentale de l’état de droit, de notre système de soins et de faire le lien avec notre société », explique Nathalie Wolff, maître de conférences en droit public et vice-doyenne chargée de la vie étudiante et de la culture.

Tout a donc commencé il y a trois ans, lors d’un premier travail sur la loi Veil, portant sur l’Interruption volontaire de grossesse (IVG). Une représentation à l’Assemblée nationale avait été réalisée par des étudiants en droit et en santé, qui a été suivie d’un débat sur l’égalité homme-femme avec des juristes, des ministres et un gynécologue.

Ils ont ensuite voulu poursuivre ce travail sur l’éthique. « On a voulu continuer sur la question du consentement aux soins, […] des essais cliniques et des expérimentations. Et, on a voulu remonter dans l’histoire pour parler de ces questions », justifie la maître de conférence en droit public, pour qui ces interrogations sont importantes, notamment depuis la crise sanitaire et la campagne de vaccination.

Utiliser le théâtre pour transmettre ce savoir serait assez novateur dans le milieu de l’enseignement supérieur. Pluridisciplinaire, ce projet a donc mêlé le droit, le théâtre, la santé, l’histoire et les techniques d’éloquence. Les étudiants ont ainsi commencé leur travail de recherche et d’étude en se rendant au camp de concentration de Dachau, le 26 septembre 2019.

« C’était assez difficile. On est allés là où se sont passées les expériences. Ça a été beaucoup d’émotions », raconte Nathalie Wolff. Puis, ils sont allés au tribunal de Nuremberg, où ont été condamnés les nazis et notamment les médecins nazis qui ont été jugés entre le 9 décembre 1946 et le 20 août 1947.

Nadia Younès et Xavier Paoletti, notamment enseignants au sein de l’UFR Simone Veil, ont pu traduire une partie du procès, car l’ensemble aurait été trop important.

À leur retour, il fallait donc écrire la pièce de théâtre, ce qui n’était pas une mince affaire, car il a fallu retrouver la traduction des minutes du procès qui s’est déroulé en allemand et en anglais. Le mémorial de la Shoah ne les avait pas, selon l’UVSQ, et aucune traduction ne serait recensée dans les bibliothèques universitaires.

Mais finalement, les minutes du procès numérisées ont été retrouvées à l’université de droit de Harvard. Nadia Younès et Xavier Paoletti, enseignants au sein de l’UFR Simone Veil, ont donc pu traduire une partie du procès, car l’ensemble aurait été trop important. Ils ont alors choisi de retranscrire l’expérience consistant à rendre l’eau de mer potable.

En effet, pendant la guerre, les marins et aviateurs naufragés en mer réclamaient à la Luftwaffe, la composante aérienne de la Wehrmacht, une solution pour remédier aux rations d’eau douce insuffisantes. « Il y a eu peu de morts. Les autres expériences étaient trop abominables [pour faire l’objet de la pièce de théâtre]. C’est lourd pour les étudiants », justifie Nathalie Wolff.

C’est donc sur cette traduction que Sarah Tik, de la compagnie JimOe, et Hédi Tillette, de la compagnie Clermont-Tonnerre, ont fait la reconstitution. « Au début, on avait 6 heures de pièce de théâtre avec 50 pages de texte. On a dû refaire des coupes car c’était trop long », raconte Sarah Tik.

Les étudiants ont ensuite répété pendant six jours pleins pour in fine faire un spectacle d’une heure trente. Un travail qui n’a pas été toujours simple, mais dont ils gardent un bon souvenir. « Le texte est compliqué à assimiler et, au début, je lisais sans comprendre. Ce n’est que récemment que j’ai compris le sens […]. J’ai des frissons maintenant en le lisant », explique Charlotte, en master 2 en médecine.

De même pour Camille, en master droit de la santé, qui dit avoir eu du mal avec le langage scientifique employé dans les discours. Mais ayant déjà participé au projet Simone Veil qui lui avait plu, elle a voulu participer à celui sur le procès de Nuremberg.

Dans la pièce, elles deux et d’autres de leurs camarades interprètent l’accusation en tentant de prouver l’acte de génocide. « L’objet de ces expériences était de détruire et de tuer […] pour tester un poison, afin de montrer à quelle vitesse ils [les sujets] allaient mourir », selon l’une de leurs déclarations, pendant la reconstitution. Et « les connaissances de cette expérience ont fourni les outils de génocide contre les Tziganes, les juifs, les Polonais… », poursuit l’accusation.

Ils ont aussi plaidé sur le non-consentement des sujets à l’expérimentation : « Un sujet volontaire est informé de ce qui va se passer pendant l’expérience et des dangers […] Étaient-ils volontaires dans les camps ? »

Un argument auquel la défense répond : « Ils auraient pu dire non. Je ne les ai pas menacés, ni contraints. » C’est la position que tiendra le médecin Wilhelm Beiglböck, qui dit ne pas avoir participé à un génocide. « Ce n’était pas un crime contre l’humanité, car c’étaient des personnes catégorisées d’associables », selon les déclarations de la défense, en évoquant notamment les Tziganes.

Le médecin se défendra également en affirmant avoir été nommé par Heinrich Himmler, l’un des plus hauts dignitaires du Troisième Reich. « Il m’était impossible de me retirer. J’ai compris ça comme un ordre militaire. […] Je ne pouvais apporter aucun changement à ce programme », affirment les étudiants qui jouent la défense.

Élée, en master de justice et processus de procédure, en fait d’ailleurs partie. Et elle qui n’avait pas connaissance des expériences menées sur les corps pendant la période nazie a voulu interpréter la défense. « La figure de l’avocat [Gustav Steinbauer], qui a été persécuté par le régime nazi, était intéressante, tout comme de défendre des partis difficiles, justifie-t-elle son choix. Potentiellement, on se remet en question. Il méritait une défense, c’est important de poser des mots sur ce qu’ils sont, et ça reste des humains, et ils méritent une justice. »

Et le procès était d’autant plus complexe à mener que certaines notions juridiques n’existaient pas encore à l’époque, comme l’acte de génocide, le crime contre l’humanité et contre la dignité de la personne humaine, selon Nathalie Wolff. À l’issue du procès, ces notions sont ensuite rentrées dans le droit international.

Il existait aussi un vide juridique sur l’encadrement des expérimentations sur l’homme. Seules des règles coutumières l’évoquaient, comme le serment d’Hippocrate, le code promulgué par l’association médicale américaine en 1847 ou encore les circulaires ministérielles, qui posaient des principes éthiques. Et l’Allemagne n’était pas le seul pays à réaliser des expérimentations sans consentement libre et éclairé. À bien plus petite échelle, les États-Unis aussi en faisaient dans leurs prisons dans l’Illinois, selon la défense du médecin allemand jouée lors du procès.

Wilhelm Beiglböck écopera finalement d’une peine atténuée de 15 ans de prison ferme, en raison d’actes commis sous la domination d’un supérieur. Il y a 75 ans exactement, le procès de Nuremberg s’est donc achevé après 133 jours d’audience, 32 témoins venus témoigner pour l’accusion, et 30 pour la défense, 570 pièces à conviction pour l’accusation, 850 pièces pour la défense, et un dossier de jugement qui dépassera les 12 000 pages.