« Déshabiller Pierre pour habiller Paul. » Cette expression est sortie à de nombreuses reprises de la bouche des médecins généralistes, qui ont, depuis la dernière semaine de février, la possibilité d’administrer le vaccin AstraZeneca contre le Covid-19 dans leurs cabinets aux personnes de plus de 50 ans avec comorbidités, mais ont été informés le 7 mars par la Direction générale de la santé (DGS) de l’impossibilité de commander de nouvelles doses la semaine du 8 mars afin de laisser la possibilité aux pharmaciens de pratiquer eux aussi ces injections.

« Il n’y a pas de problème que les pharmaciens vaccinent, mais il faut que les médecins puissent vacciner », réagit Laurent De Bastard, vice-président de l’Ordre des médecins des Yvelines, département « qui a beaucoup vacciné », alors qu’« en France, il y a eu à peu près 1,6 million de patients vaccinés avec de l’AstraZeneca », nous rapportait-il le 10 mars. Il affirme recevoir des mails de confrères « choqués et dépités ».

« On a l’impression d’être une variable d’ajustement », lâche-t-il, lui qui est également urgentiste et a un cabinet de médecine générale à Versailles. Il y avait administré en 15 jours, « tout ce qu[il] pouvai[t] faire », alors que les approvisionnements s’élevaient la première semaine à « un flacon par médecin » et, la deuxième, à « deux flacons » (un flacon comprenant dix doses, Ndlr).

« Je dois vacciner aujourd’hui dix patients, […] j’ai appelé la pharmacie et je ne sais toujours pas si le flacon va arriver à temps », nous confiait-il le 10 mars au matin. Difficile à gérer, d’autant que les praticiens ont été prévenus presque au dernier moment par la DGS, le dimanche 7 mars « en fin d’après-midi », alors qu’ils effectuent leurs commandes « avant le mercredi, pour la semaine suivante », souligne-t-il.

Ces annonces risquent selon lui de doucher la motivation des généralistes, déjà découragés par la lourdeur du processus. « [Ils] courent partout, entre les patients qui sont dans des maisons de retraite, les visites qu’ils ont, les patients qu’ils ont en cabinet, etc., peste-t-il. Ils organisent une plage horaire de vaccination, et ils sont obligés de la décaler […]. 80 à 90 % des médecins n’ont pas de secrétaire, donc vous vous rendez compte du travail à devoir rappeler les gens, décommander, décaler, car vous n’avez pas été approvisionné, car il y a un retard X ou Y, et car finalement, l’État a décidé qu’on allait faire vacciner les pharmaciens. »

300 injections en deux semaines à la MSPU de Montigny

À Montigny-le-Bretonneux, ce sont 300 injections d’AstraZeneca qui ont été effectuées les deux premières semaines à la Maison de santé pluridisciplinaire universitaire (MSPU), d’après le professeur Alain Jami, médecin généraliste et président de l’Amicale des médecins des trois villages, à l’origine de la création de cette structure inaugurée en décembre dernier, où exercent entre autres neuf médecins titulaires. « On a déjà vacciné une bonne partie des gens éligibles à la vaccination », affirmait-il le 9 mars.

Il tempère la lourdeur du processus pour organiser les vaccinations contre le Covid en cabinet. « C’est moins simple qu’une vaccination où les gens vont acheter leur dose chez le pharmacien et [où] ils viennent avec après pour se faire vacciner. Il y a une organisation différente, une préparation, des référentiels qui sont un petit peu différents, mais on s’adapte […]. Là, il faut commander les doses chez le pharmacien, [qui] nous les livre, ce n’est pas plus compliqué qu’autre chose. Il faut avoir un frigo, il y a une petite infrastructure, mais elle est tellement simple à mener. »

Le médecin ignymontain assure qu’à la MSPU, « on s’est réunis, on a pris deux ou trois heures de réflexion commune pour arriver à avoir une organisation qui soit optimale, et ça a super bien marché ». « On a eu les gens qui étaient ravis de se faire vacciner, on a mis en place des protocoles de prise en charge en cas de difficulté, on a acheté de l’oxygène, ce qu’il fallait comme matériel d’urgence, heureusement il ne s’est rien passé », précise-t-il, reconnaissant toutefois que l’« on peut le faire car on est une structure organisée » mais que « c’est plus compliqué quand on est tout seul, mais en pratique, ce n’est pas insurmontable ».

Le professeur se disait en revanche encore « sous le coup » du message de la DGS. « Sur un plan pratique et sur le plan du respect qu’on doit aux gens qui s’investissent depuis maintenant des mois et des mois pour faire face à toutes les difficultés auxquelles est confrontée la population, avoir ce type de message, […] c’est juste pas adapté », s’offusque-t-il. Lui et Laurent De Bastard rappellent que plusieurs syndicats de médecins ont réclamé la démission du directeur général de la santé, Jérôme Salomon, suite à ce nouveau couac.

*Note de mise à jour: juste après le bouclage du journal, a été annoncée la suspension temporaire de la vaccination à l’AstraZeneca en France.

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