On sait à quelle sauce on va être mangé », lance Germain Rault, délégué syndical à la CFDT au Technocentre de Guyancourt. FO, la CFDT et la CFE-CGC ont signé le 19 novembre un accord sur la « transformation des compétences dans les fonctions globales » de Renault avec la direction de l’établissement de Guyancourt, regroupant le Technocentre ainsi que les sites situés à Vélizy et Aubevoye (Eure). Seule la CGT n’a pas signé.

Sont prévues : une rupture conventionnelle collective, mais pas pour tout le monde, des dispenses d’activité pour les plus anciens, et des formations aux nouveaux métiers, nécessaires à la performance de Renault. Tout devrait se faire sur la base du volontariat.

Cet accord est une réponse au plan de réduction des coûts de Renault, annoncé le 29 mai 2020. Ce dernier vise à supprimer 15 000 emplois dans le monde, dont 4 600 en France. L’objectif étant de réaliser 2 milliards d’euros d’économies sur trois ans. Ces suppressions de postes toucheront la fabrication, les frais généraux et l’ingénierie.

Ce dernier secteur coûterait en effet trop cher à l’entreprise. « Il faut diminuer le coût de l’ingénierie par véhicule », rapporte Sébastien Jacquet, délégué syndical à Force ouvrière et secrétaire de section syndicale au Technocentre.

L’ingénierie va donc subir une réduction des coûts à hauteur de 800 millions d’euros avec la suppression de 1 500 postes en France. Sachant que la plupart des emplois dans ce secteur sont concentrés en Île-de-France et notamment au Technocentre de Guyancourt, où 60 % des effectifs travaillent dans l’ingénierie (voir notre édition du 9 juin). Les emplois dans le tertiaire vont aussi être touchés. 1 000 postes vont disparaître. Ainsi, les trois sites de l’établissement de Guyancourt – le Technocentre, mais aussi Vélizy et Aubevoye – devraient connaître la suppression d’environ 1 960 postes d’ici trois ans, selon les estimations des syndicats.

D’où l’importance pour les partenaires sociaux d’accompagner au mieux les employés, grâce à cet accord fondé sur des départs volontaires. « Au moins, ça nous protège contre un licenciement pur et dur », relativise Sébastien Jacquet. L’accord ne prévoyant pas de licenciements secs, selon les syndicats.

Mais pour la CGT, il s’agirait plutôt d’un plan social déguisé, qui risque de donner lieu à une surcharge de travail, selon Jean-Loup Leroux, ingénieur au Technocentre et militant à la CGT. C’est notamment pourquoi le syndicat n’a finalement pas voulu signer cet accord sur la « transformation des compétences dans les fonctions globales » de Renault.

Comme son nom l’indique, cet accord prévoit de former les salariés, qui auraient des compétences jugées obsolètes sur certains sites du constructeur automobile, comme les métiers du secrétariat, ou de la comptabilité, supposent Sébastien Jacquet et Germain Rault. Dans le secteur de l’ingénierie, les essais physiques sur les pièces devraient également disparaître, au profit du virtuel, selon Jean-Loup Leroux. « On fait encore beaucoup d’essais physiques car Gilles Le Borgne a dit que chez PSA, ils font deux fois moins d’essais », illustre-t-il.

Selon Gilles Le Borgne, ancien directeur R&D du constructeur Peugeot devenu directeur de l’ingénierie chez Renault, « les coûts de validation [des] projets, par exemple, sont trop élevés », annonce-t-il dans un article du Monde. C’est pourquoi, les postes liés au design et à la maquette devraient être supprimés. « Les maquettes, les avant-séries, les prototypes sont trop nombreux et trop chers », poursuit-il dans le quotidien national.

Renault veut alors diminuer le nombre de ses projets automobiles, afin de gagner en marge opérationnelle, rapporte Sébastien Jacquet. Lors de la cérémonie de l’Homme de l’année, le 8 septembre, Gilles Le Borgne annonçait justement une piste pour réduire les frais de R&D. Ce dernier souhaiterait « faire des voitures avec 75 % de pièces communes en valeur », rapportait le média Challenges.

Afin que la marque au losange puisse atteindre ses objectifs, l’accord négocié avec les syndicats propose un accès à la formation. Ce qui devrait permettre aux salariés souhaitant rester de se positionner sur des emplois à haute valeur ajoutée pour Renault. C’est le cas des formations au métier de data scientist ou encore aux postes liés aux nouvelles technologies, selon Sébastien Jacquet. Les managers pourraient être concernés. Beaucoup de leurs postes vont disparaître, car ils seraient jugés trop nombreux par la direction. En moyenne, il y a un manager pour sept employés et Renault voudrait atteindre un pour 12 (voir notre édition du 9 juin).

Pendant leur formation, les employés seront payés à 100 % de leur salaire. Une victoire pour les syndicats signataires de l’accord. « La mise en place de l’outil ARME (Activité réduite pour le maintien dans l’emploi) est une opportunité […] pour les salariés qui veulent monter en compétence sans perdre un centime de rémunération », annonce la CFDT dans un communiqué datant du 19 novembre.

Mais la CGT n’est pas de cet avis. Le syndicat aurait voulu que Renault paie la formation et ses salariés. « Ça va être à nous de payer, comme on sera au chômage partiel. C’est l’État qui paye et donc nos impôts. Et la formation sera payée par notre CPF (Compte personnel de formation, Ndlr) », s’indigne l’ingénieur CGT.

L’autre option, pour accompagner les salariés, est la rupture conventionnelle collective. Elle est accessible uniquement aux employés dont le poste est en nombre suffisant dans l’entreprise ou est moins essentiel à la marque au losange, précise Sébastien Jacquet. Pour ce faire, il faut que ces personnes aient une promesse d’embauche ou le projet de fonder leur propre entreprise, selon les informations de Germain Rault.

En plus des droits légaux relatifs à la rupture conventionnelle, les bénéficiaires recevront de un à 14 mois de salaire supplémentaire, avec un accompagnement auprès d’un cabinet d’experts s’ils souhaitent créer leur entreprise. Enfin, ils bénéficient d’un filet de sécurité si, au bout de six mois, ils souhaitent faire marche arrière. Renault les considérera comme prioritaires à l’embauche s’ils veulent revenir au sein de l’entreprise.

Les dispositifs proposés par l’accord sont tous sur la base du volontariat. « C’est pour ça qu’on a signé », justifie Sébastien Jacquet, de Force ouvrière, avant de nuancer le plan de réduction des coûts du constructeur : « On a besoin de transformer les métiers et les compétences. On prend nos responsabilités. Tout n’est pas rose, mais on fait au mieux pour pérenniser l’entreprise. »

Mais rien ne garantit que les employés seront volontaires pour une formation ou pour prendre la rupture conventionnelle… « On ne peut pas savoir si le volontariat va marcher, avoue Sébastien Jacquet. Avec la crise sanitaire les gens vont être frileux. » Sachant qu’avec les difficultés économiques que connaît le secteur de l’aéronautique et de la métallurgie, les passerelles sont plus compliquées, poursuit le syndicat. L’ingénieur militant à la CGT est du même avis : « Il y a tellement d’incertitudes aussi… Qui aujourd’hui va se lancer dans le vide ? »

A priori, ceux qui seraient éligibles au départ anticipé ou au départ à la retraite, pourraient être les plus volontaires, pense Sébastien Jacquet. Ils ont d’ailleurs déjà commencé, indique Germain Rault. Sur les 2 500 postes à supprimer dans l’ingénierie et le tertiaire, 500 seraient déjà prévus en départs anticipés ou départs à la retraite.

Des incitations ont d’ailleurs été mises en place pour les encourager à partir. Comptez six mois en plus pour les départs à la retraite. Quant aux employés optant pour les départs anticipés, ils bénéficieront de trois ans avant l’âge légal de départ à la retraite, rémunérés à 72 % de leur salaire brut, avec la possibilité de travailler pendant cette période dans une autre entreprise que Renault. Même si c’était déjà le cas auparavant, nuance Sébastien Jacquet, de Force ouvrière.

Mais la CGT aurait préféré qu’ils touchent leur salaire à 100 % les trois premières années. Sachant qu’en 2013, ce pourcentage était plus élevé, 75 %, selon Jean-Loup Leroux. « Il y a des collègues qui pourraient être à la retraite mais ne partent pas, car ils ont des enfants, encore une maison à payer, et avec leur salaire ce n’est pas intéressant de partir (avec ce pourcentage, Ndlr) », explique-t-il. Les salariés concernés par cet accord ont jusqu’au 30 septembre 2021 pour déposer leur candidature.

Qu’en est-il de la modernisation du Technocentre ?

L’E-TCR serait « en stand-by », annonce Sébastien Jacquet, délégué syndical à Force ouvrière et secrétaire de section syndicale au Technocentre. Ce programme de modernisation du centre R&D de Renault, visant à transformer intégralement les espaces de travail pour les rendre plus modernes et collaboratifs, était déjà au ralenti après le premier confinement. « Pas sûr qu’il continue avec la première configuration », suppose Jean-Loup Leroux, ingénieur au Technocentre et militant CGT. Les openspaces auraient été pensés plus rapprochés et les surfaces de bureaux devraient être réduites, selon lui. Or, en raison de la crise sanitaire, du plan de réduction des coûts de Renault et du développement du télétravail, « l’E-TCR n’est pas raisonnable dans ces conditions-là », confirme Sébastien Jacquet.

En attendant, l’Odyssée, qui est le premier bâtiment du programme à sortir de terre, ne devrait pas être destiné aux salariés de Renault mais à une autre entreprise, selon les syndicats interrogés. La marque au losange souhaiterait créer « la Silicon Valley de l’automobile » au Technocentre de Guyancourt, avancent les syndicats. D’autres espaces du Technocentre pourraient être mis à disposition d’autres sociétés. Mais Sébastien Jacquet nuance : « Ça peut encore changer. J’ai déjà entendu dix versions depuis le début. Ce qui est sûr c’est qu’on ne sait pas. »

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