« Une réorganisation des activités du Technocentre à Guyancourt », peut-on lire dans les colonnes du Monde ou encore d’Usine Nouvelle. Ce sont les annonces qu’a faites le constructeur automobile français, lors de la présentation de son plan de réduction des coûts, en conférence de presse, le 29 mai. Néanmoins, très peu d’informations ont été révélées pour le moment sur l’avenir du Technocentre. Alors les différents syndicats émettent des hypothèses. « On a quelques informations qui sont des suppositions. Actuellement, on n’est pas certains de la finalité de la chose », affirme Sébastien Jacquet délégué syndical central adjoint au sein de l’ingénierie et du tertiaire à Force ouvrière et secrétaire de section syndicale au Technocentre.

Tel qu’il a été annoncé, le plan vise à supprimer 15 000 emplois dans le monde, dont 4 600 en France, et à réaliser 2 milliards d’euros d’économies sur trois ans, qui toucheront notamment la fabrication, les frais généraux et l’ingénierie. Cette dernière devrait faire l’objet d’une réduction des coûts à hauteur de 800 millions d’euros, et d’une « optimisation de l’utilisation [de ses] centres de R&D à l’étranger et de [sa] sous-traitance », comme l’indique Le Monde, en reprenant les annonces du constructeur. Sachant que le secteur phare du Technocentre est l’ingénierie, soit 60 % de ses effectifs, selon Germain Rault, délégué syndical à la CFDT sur le site guyancourtois, qui reconnaît une surchauffe dans ce domaine d’activité. Le site devrait être touché par le plan de réduction des coûts. « On coûte trop cher au niveau de l’ingénierie », confirme Sébastien Jacquet.

Mais le flou demeure encore aujourd’hui. « On n’a aucune visibilité », poursuit-il. Les syndicats apprennent par voie de presse les avancées du projet, comme la suppression du site industriel de Choisy-le-Roi (Val de Marne), qui mobilise actuellement les salariés et syndicats de Renault. « C’est bizarrement conduit. On ne comprend pas bien. Les annonces sont faites dans la presse avant qu’elles ne soient faites auprès de nous. On a été sidérés et mécontents de cette façon de faire. L’entreprise a dérogé à un dialogue social », considère Valérie Sonnefraud, responsable du CFE-CGC, le syndicat des cadres du Technocentre.

Néanmoins, un comité central social et économique du groupe doit avoir lieu le 16 juin sur le site de Guyancourt. Sera alors remis le dossier détaillé du plan de réduction des coûts au niveau de la France. Et encore une fois, selon les informations de Valérie Sonnefraud, le comité ne portera pas uniquement sur le Technocentre, mais sur tous les sites de France.

Alors, certains syndicats font déjà des suppositions sur la manière d’appliquer le plan au niveau du site guyancourtois, notamment au regard du peu de communication qu’ils ont pu avoir en interne. « La direction commence à envoyer des petites infos au fur et à mesure. Elle envoie des signaux », reconnaît Jean-Loup Leroux, ingénieur au Technocentre et militant à la CGT. Il fait référence aux communications en interne de Gilles Le Borgne, le nouveau directeur de l’ingénierie du groupe Renault, auparavant en charge de la direction qualité et ingénierie de PSA.

La plupart des syndicats du site de la marque au losange ont parié sur une réduction du nombre de prestataires et de sociétés de prestation. « Gilles Le Borgne veut diminuer le nombre d’entreprises de prestation et le nombre de prestataires pour maîtriser les coûts », affirme Sébastien Jacquet. Dans un article des Échos sur « La nécessaire révolution de l’ingénierie », le journal mentionne que « les sous-traitants qui resteront ne travailleront plus au Technocentre de Guyancourt ».

Sachant que les prestataires automobiles seraient environ 2 700 sur le site de Guyancourt et depuis janvier, leur nombre aurait diminué, selon Jean-Loup Leroux. « Au 1er avril, il y a toute une partie des prestataires qui ont vu leur contrat s’arrêter, illustre-t-il. Le but, c’est que les salariés prestataires ne travaillent plus sur le site et à terme, Renault va demander aux sociétés de prestation d’ouvrir des sites dans des pays à moindre coût. »

Tel qu’il a été annoncé, le plan vise à supprimer 15 000 emplois dans le monde, dont 4 600 en France et à réaliser 2 milliards d’euros d’économies sur trois ans.

Cette perte de sous-traitants laisserait craindre « une perte d’expertise pour Renault », suppose Sébastien Jacquet, délégué syndical central adjoint à Force ouvrière. D’autant plus que le plan de suppression de postes pourrait se matérialiser en départs volontaires ou anticipés et dans tous les cas ils ne seront pas remplacés. « Je crains qu’on s’affranchisse de certains métiers vitaux comme dans l’électronique, l’automatisation, les achats », confie-t-il.

Mais la directrice générale par intérim du groupe, Clotilde Delbos, citée dans l’article des échos, rassure : « La France restera le cœur de notre ingénierie, où se concentreront les technologies de pointe, à forte valeur ajoutée. » En effet devraient être conservés en France, les véhicules électriques, le moteur E-tech, la connectivité ou encore l’architecture électronique, selon elle.

D’ailleurs, la récente intégration de Renault au consortium européen de fabrication de batteries électriques – réunissant notamment PSA et Total -, annoncée le 26 mai, pourrait bien maintenir, voire renforcer la R&D au sein du Technocentre, selon l’analyse du député de la première circonscription des Yvelines Didier Baichère (LREM). Puisqu’il s’agirait de fabriquer ses propres batteries en France, afin de concurrencer l’Asie. « Je ne suis pas inquiet pour le Technocentre. J’y vois des signes positifs sur la préservation de la R&D », indique-t-il. Le député assure également que le groupe compte tout faire « pour maintenir le niveau d’apprentis et développer les compétences ». En revanche, il va regarder avec attention ce qui attend les sous-traitants.

Le nombre de « chefs » pourrait également se voir affecté par le plan d’économies. « D’après la direction de Renault, il y aurait trop de chefs », rapporte Jean-Loup Leroux. Un responsable pour 12 collaborateurs serait la norme. Ce n’est apparemment plus le cas. « Certaines équipes sont trop petites. […] On se rend compte qu’on a encore des équipes de deux personnes », révèle Sébastien Jacquet, qui confirme que dans la nouvelle organisation, il y aura beaucoup moins de managers avec une meilleure répartition. Germain Rault de la CFDT abonde : « C’est dans la balance de revenir à des niveaux d’encadrement moins importants. Ça fait partie du sujet. La direction doit rendre sa copie. »

Cette situation serait le résultat d’un trop grand nombre de promotions au rang de manager. Selon Sébastien Jacquet, les collaborateurs passent forcément par le management dans leur carrière. Aujourd’hui, ils seraient trop nombreux. « On ne peut pas proposer à tout le monde de devenir manager », assure le délégué syndical central adjoint. Cela durerait depuis plusieurs années. « On voyait déjà bien la limite de notre fonctionnement avant la crise de 2008 », constate Germain Rault, délégué syndical de la CFDT. Mais ce dernier n’est pas inquiet. « Ça va le faire, on est chez Renault, on a l’habitude. À Guyancourt, on est plus préservés que sur le site de Choisy-le-Roi. »

Au total, le syndicat de la CFDT table sur un potentiel départ volontaire ou anticipé, de 1 000 à 1 400 personnes, au regard de la taille de l’établissement, qui compte près de 15 000 salariés en comptant les prestataires. L’article des Échos fait le même pronostic : « [Le Technocentre] verra ses effectifs réduits de quelque 1 500 salariés. »

Au-delà des suppressions de postes. Le plan de réduction des coûts de la marque au losange pourrait bien retarder le programme de modernisation du Technocentre, E-TCR. Commencé en 2018, il doit durer cinq ans. Il vise à transformer intégralement les espaces de travail pour les rendre plus modernes et collaboratifs. (lire La Gazette datant du 21 mai 2019). Un premier bâtiment, nommé Odyssée a commencé à sortir de terre avec la pose de sa première pierre le 27 novembre. Sa livraison étant prévue pour l’été 2020, celle-ci pourrait se voir repoussée. Selon Sébastien Jacquet, la direction aurait dit qu’il n’y aurait pas de report. Pourtant « il y a eu un ralentissement », observe-t-il.

En attendant que ces hypothèses soient confirmées ou non, les syndicats préparent leur mobilisation, qui n’est pas simple. Certains d’entre eux ont manifesté devant l’usine Renault à Choisy-le-Roi. Le syndicat des cadres, CFE-CGC a montré son mécontentement en refusant de siéger au CSE du Technocentre le 29 mai. Mais le télétravail limiterait leurs actions, selon Jean-Loup Leroux. « Au niveau du Technocentre, c’est compliqué de communiquer (avec les salariés, Ndlr) et de mobiliser », affirme même Sébastien Jacquet.

Contactée par la rédaction, la direction du Technocentre de Guyancourt n’a pas souhaité nous accorder d’interview pour le moment : « Le temps est dédié aux échanges avec nos partenaires sociaux. »

Comment s’est passé le confinement pour les salariés du Technocentre  ?

La grande majorité des salariés du site de Renault à Guyancourt était en télétravail pendant le confinement et l’est toujours aujourd’hui. Selon Germain Rault, délégué syndicat à la CFDT au CSE du Technocentre, 85 % des salariés sont encore chez eux en activité partielle à 50 %.

Et cette situation aurait bien été vécue pour 90 % des salariés, selon une enquête de la CFDT sur le confinement et le télétravail, publiée en mai 2020. En effet, ils n’ont pas eu de problèmes techniques. En revanche, le syndicat pointe le taux d’activité à 50 % avec une charge de travail qui serait restée à 100 % et qui aurait été difficile à vivre. « Officiellement, il fallait arrêter de travailler à 13h. Mais certains ont dû continuer au-delà. », suppose Jean-Loup Leroux, ingénieur au Technocentre et militant à la CGT.

Le syndicat des cadres, la CFE-CGC, a également réalisé un sondage. Selon Valérie Sonnefraud, responsable du syndicat au Technocentre, des équipements et du mobilier adaptés manqueraient au domicile des collaborateurs.

Mais « globalement les gens se sont bien débrouillés », poursuit-elle, même si elle reconnaît un petit pourcentage de personnes qui ont eu du mal. Des risques psychosociaux seraient à présager. Sachant que cette situation pourrait durer jusqu’en septembre, selon le syndicat de la CFDT : « Ça risque de devenir la norme. »

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