« Ici on peut être différent, avoir des idées différentes, et tout le monde peut avoir raison », lance Marine Baillon, jeudi 11 avril, en décrivant les ateliers philosophiques, qu’elle donne à la classe de 6e F au Collège Gustave Courbet de Trappes. Chargée de projets et animatrice pour l’association Savoir être et vivre ensemble (Seve), elle prépare la classe avec qui elle passe dix séances. Les chaises sont placées en cercle. « Il faut que tout le monde puisse se voir », explique l’animatrice. Selon elle, ces ateliers, qui on reçu en 2017 l’agrément de l’Éducation nationale, permettent aux enfants et aux adolescents de s’exprimer librement afin de développer leur pensée, et leur esprit critique.
Depuis trois ans, l’association Seve dispense des ateliers de philosophie dans les écoles, les collèges, les lycées, les centres de loisirs, les accueils périscolaires, les centres socioculturels, ou encore dans les espaces jeunes. Et « la lutte contre la radicalisation fait aussi partie du contrat », précise l’animatrice. Fondés à la suite des attentats de Charlie Hebdo par Frédéric Lenoir, auteur et philosophe, ces ateliers donnent l’opportunité à l’enfant « d’élaborer une vraie réflexion » : « Il acquiert ainsi la capacité de résister aux manipulations du ‘‘prêt-à-penser’’, aux dogmatismes, aux préjugés… », indique le site de l’association.
La sonnerie retentit, mettant fin à la récréation au sein du collège Gustave Courbet ce 11 avril. Pour leur deuxième séance philosophique avec l’animatrice Marine Baillon, neuf collégiens en 6e F arrivent bien agités dans la classe, celle-ci ayant été divisée en deux groupes.
La séance commence par cinq minutes de pratique de l’attention. Et elles ne font pas l’unanimité. « Ça ne me détend pas moi », lâche, avant même le début de l’exercice, Adbelsalem lasse, et réfugiant sa bouche dans son sweat à capuche. Le gong sonne. « Fermez vos yeux, vos pieds bien à plats sur le sol, décontractez vous… », énumère lentement et d’une voix douce Marine Baillon. Certains jouent le jeu, d’autres ne peuvent pas s’empêcher de sourire et de parler, malgré les rappels à l’ordre de l’animatrice. Elle explique aux élèves : « C’est un moment calme pour soi. C’est important car on n’a pas souvent du temps pour cela dans la journée. »
Pendant cette séance qui dure 45 minutes, l’intervenante leur demande de donner leur avis sur la question suivante : « Qu’est-ce qu’une vie réussie ? » Sachant que l’animateur ne doit jamais donner son opinion, il est là pour diriger et relancer le débat. « Ça change beaucoup pour eux. Ils adoptent souvent une posture verticale vis-à-vis des adultes. Leurs parents leur disent quoi faire à la maison. Et les moments, où chacun est sur un même pied d’égalité pour parler de certains sujets et s’écouter, sont rares et parfois absents », constate Marine Baillon.
Les élèves ne se font pas prier pour prendre la parole. Les avis fusent. Dans leur réponse, ils font le plus souvent référence à la religion. Sira, avec ses longues tresses légèrement colorées, affirme convaincue : « Une vie réussie, c’est quand on respecte les gens, qu’on prie, et qu’on fait ce que nos parents nous disent. Et si tu ne le fais pas, c’est comme si tu ne respectais pas ta religion. » La plupart des autres élèves sont d’accord avec elle. Néanmoins, sa voisine Myriam doute. « Mais si nos parents nous disent de faire quelque chose qui n’est pas bien, on peut ne pas le faire et continuer de les respecter », estime la jeune fille.
L’animatrice tente alors de les amener à donner leur propre opinion, en les éloignant du culte religieux et de l’influence de leurs parents. « Donc ça c’est la religion qui le dit ? », leur demande-t-elle. « Dans ma tête je ne pense qu’à jouer et à faire autre chose mais je suis obligé », reconnaît Abdelsalem en sortant de son silence. Et Eva, qui n’a pas encore donné son avis, de proposer : « Une vie réussie c’est aussi faire de bonnes études, arriver à faire un métier. »
Les élèves abordent alors la place de la femme dans la société. Sofian, grand et brun, veut que sa future épouse reste à la maison. « Alors pour toi la femme n’est pas libre ? », lui rétorque Myriam. Le rôle de l’animateur est aussi de les pousser à aller au bout de leur réflexion en les faisant peser le pour et le contre. Marine Baillon lui demande alors : « Qu’est ce que ça fait si elle travaille ? »
En fin de séance, l’animatrice poursuit sur les problématiques relatives aux métiers, qui semblent les faire réagir. « Vous préférez faire un travail qui vous plaît mais peu rémunéré ou un travail qui ne vous plaît mais vous gagnez beaucoup d’argent ? » Là aussi les avis divergents. Myriam préfère faire ce qui la rend heureuse. Sira veut de l’argent pour assurer sa sécurité financière. Puis Sofian témoigne sur la situation de son père : « Il fait deux métiers, un qui lui plaît et l’autre pas ». Et il ne serait pas de bonne humeur en rentrant à la maison à cause de ce dernier, selon le jeune élève. Les collégiens de 6e F se mettent alors d’accord sur l’importance pour eux de faire un métier qui les passionne, peu importe le niveau de rémunération.
L’animatrice se réjouit de ces moments où se construit un cheminement de pensée. « Ils disent ce qu’ils pensent puis échangent avec les autres et parfois ils réalisent que ce n’est pas complètement juste, analyse-t-elle. Et ça ne s’arrête pas là, car même après l’atelier les élèves continuent à cogiter. »
Cette classe de 6e F doit encore faire huit séances avec Marine Baillon. Mais Sira aimerait en avoir plus. « On apprend beaucoup de choses, ça nous sert ». Myriam ajoute : « On se sent mieux dans notre peau et on peut sortir ce qu’on a envie de dire. On ne pourrait pas parler de ça dans un autre cours. » Actuellement ces ateliers sont largement répandus sur Trappes. Au total, 491 séances sont déjà dispensées dans toute la commune par huit animateurs. Lorsque Frédéric Lenoir a proposé ce concept à la mairie de Trappes, Jeannine Mary, première adjointe au maire en charge de l’éducation, a tout de suite été séduite par les résultats positifs : « Quand j’ai vu l’évolution de la pensée des enfants en 45 minutes, je me suis dit, il faut le développer », se remémore-t-elle.