Le 10 février, ils indiquaient être jusqu’à 700 à manifester sur le site de Thales d’Élancourt, à l’initiative de l’intersyndicale regroupant CFDT, CFTC, CFE-CGC, CGT et SUPPer. Une mobilisation dans le cadre d’un mouvement national touchant tous les sites du groupe en France, pour réclamer des augmentations de salaires et dénoncer les conditions de travail des salariés. À Élancourt, les pancartes « Thales en colère » étaient de sortie et le cortège défilait au son de la chanson On lâche rien, de HK & Les Saltimbanks.

Les revendications : rétroactivité des mesures au 1er janvier 2022, budget minimum conforme aux revendications, indexation des salaires sur les minima conventionnels de +3 %, et augmentation pour tous d’au moins 2 %, comme exprimé sur différents tracts. « Thales est une boîte très riche, pour ne pas dire extrêmement riche, même avec le Covid, » lance Cyril Azeau, Délégué syndical central (DSC) à la CGT pour LAS, l’une des trois entités de Thales Élancourt. Lui et d’autres représentants sortaient alors d’une réunion avec la direction, où il était l’un des négociateurs. Réunion infructueuse.

« C’est le groupe qui envoie les ordres, avec la lettre de cadrage, et la négociation se fait au niveau des sociétés, juste en-dessous, explique-t-il. [Le directeur d’établissement] nous dit : ‘‘Ce n’est pas moi, je vous invite à aller au-dessus’’. » « Et au-dessus, ils nous renvoient au-dessus. Et au-dessus, on n’a pas accès », complète Cyrille Grandemange, DSC LAS chez SUPPer. « Ça nous est déjà arrivés d’aller au niveau du groupe, à La Défense, poursuit Stéphane Husson, DSC CFE-CGC chez LAS. Mais là, on a des gens qui nous disent ‘‘Les négo, elles se jouent au niveau des sociétés’’. Ils jouent au ping-pong avec nous, et ça, on refuse. »

5 % réclamés, 3,5 % proposés

L’intersyndicale dénonce la politique de NAO (Négociations annuelles obligatoires) du groupe. « Au niveau de LAS, on a demandé 5 % [d’augmentation] à partir du 1er janvier », fait savoir Cyrille Grandemange. L’année dernière, on a eu le même traitement, mais avec 1,4 %. On a eu l’augmentation au mois de juillet avec 1,4 %. Cette année, c’est 3,5 %. » Un chiffre qu’il juge insuffisant. « Malgré des résultats mirobolants […], ils osent venir à une négociation et nous dire : ‘‘Vous n’aurez que la moitié d’une année en augmentation’’, s’indigne-t-il. Sauf que nous, ce qu’on revendique, c’est que l’augmentation du coût de la vie, c’est maintenant qu’elle a commencé. »

Même combat chez les autres entités du site d’Élancourt, notamment Thales DMS. « DMS est vraiment l’entreprise du groupe qui rapporte le plus d’argent, et qui n’arrive même plus à fournir ses clients [en matière de commandes]. On a des marges extrêmement importantes et, là aussi, il n’y a aucune avancée, aucune reconnaissance au niveau des salariés, et de plus en plus de salariés anticipent leur départ. Et on a de plus en plus de mal à recruter des jeunes ou à maintenir les jeunes en activité », s’attriste Nicolas Gervier, délégué syndical CFE-CGC chez DMS.

Le 17 février, environ 700 salariés se sont rassemblés au sein du site élancourtois à l’appel de l’intersyndicale, pour « faire infléchir [la direction], et faire prendre conscience qu’il y a de la souffrance ».
Sa collègue de la même branche et du même syndicat, Nadine Bellayer, a du mal à masquer sa colère : « Le groupe a profité du financement d’activité partielle par l’État. Sauf que l’État avait donné des consignes pour que ces entreprises ne versent pas de dividendes aux actionnaires. Thales l’a fait. […] Patrice Caine (le PDG, Ndlr) a fait réviser ses objectifs, alors qu’il avait donné un mot d’ordre sur toutes les entités ‘‘Les objectifs ne seront pas révisés’’.[…] Ça fait un peu beaucoup, il y a des salariés qui ont beaucoup donné, il y a quand même une inflation galopante depuis l’année dernière. »

Les représentants des salariés font donc part d’une détresse économique, avec « des gens qui vivent sur leurs réserves », d’après Cyrille Grandemange, mais aussi psychologique. En témoignent les 50 démissions en 2021, un record pour l’entreprise, selon Guillaume Routeau, salarié chez Thales LAS et syndiqué chez SUPPer. « C’est une des raisons des départs, souligne-t-il. Il y a les départs en retraite, les démissions, ceux qui partent en mutation ailleurs dans le groupe, il y a un petit nombre qui est licencié. Sur un effectif un peu supérieur à 2 000 personnes (chez LAS, environ 3 500 personnes au total étant employées sur le site élancourtois, Ndlr), tous les ans, on avait à peu près 200 personnes qui partaient. »

Ces départs entraînent une surcharge de travail. « Les gens sont épuisés, ils vont craquer à un moment. Ils vont faire le boulot de trois personnes, mais pas pendant un an », déplore Stéphane Husson, tandis que plusieurs délégués syndicaux font état de risques psycho-sociaux et de burnouts.

Face à cette situation, une pétition papier a récolté 650 signatures, et une autre, en ligne, a été signée par plus de 5 000 salariés au niveau national. Et le mouvement, lui, s’est durci. Ainsi, le 17 février, c’était « Jeudi noir », et les personnes présentes à Élancourt étaient « au moins autant que la semaine dernière », soit 700, selon Cyrille Grandemange. Et les actions se voulaient plus significatives. Les accès aux bâtiments étaient notamment bloqués. Le but : « Marquer le coup au niveau national en essayant de faire infléchir [la direction], et faire prendre conscience qu’il y a de la souffrance », insiste-t-il.

Durcissement et blocage des accès au site

Mais la direction avait manifestement anticipé, en incitant les salariés à télétravailler, ou « en enlevant des poignées, pour pas qu’on puisse chaîner les portes », rapporte le syndicaliste. « Ils ont avancé l’horaire d’arrivée à 6 h, ils ont dit à tout le monde : ‘‘Ceux qui veulent vraiment travailler, venez plus tôt’’, car ils voulaient vraiment nous prendre de court. Sauf que nous, les syndicalistes et les gens du mouvement, on était vraiment motivés, et pour certains, on n’a pas dormi. D’autres sont arrivés à 4 h du matin », poursuit-il, faisant aussi état, la semaine précédente, d’un démantèlement des drapeaux syndicaux et banderoles placés à l’entrée. « C’est de l’entrave au droit de grève et à la liberté d’expression », s’offusque-t-il.

Sollicité, le groupe Thales nous a assuré par courriel rester « très attentif à l’évolution de la situation économique et son impact sur ses salariés », suivre « ce sujet avec la plus grande attention » et entretenir « un dialogue nourri avec ses partenaires sociaux ». Mais, pour Cyrille Grandemange, il n’y a « aucune réponse » aux revendications et les dirigeants font « la sourde oreille ». Il prévient que la grogne est partie pour durer : « Le mouvement continuera tant qu’il n’y aura pas de réponse de la direction. Et ça se terminera peut-être à La Défense (au siège, Ndlr). »