On faisait 50 % de notre chiffre d’affaires entre 21 h et 1 h du matin », affirme Maxime André, le directeur de l’Up To You, un bar-restaurant situé à côté du Vélodrome national de Saint-Quentin-en-Yvelines. Mais depuis la mise en place d’un couvre-feu entre 21 h et 6 h du matin le 17 octobre, ce chiffre d’affaires a disparu et sa clientèle est en baisse, même si son nouveau pic de fréquentation se situerait entre 18 h et 18 h 30, selon lui.

Pourtant, le 20 octobre, en début de soirée, le bar n’a pas l’air plein. Le plus souvent, les clients sont attablés à deux ou à quatre. « Nous, on est vraiment spécialisés dans les afterworks. On a des groupes de dix, 15. On est plus sur des privatisations, explique le directeur de l’établissement, alors que les regroupements ne doivent désormais plus dépasser six personnes. C’est ça qui pose problème. Maintenant, on est vite complets sur peu de tables. »

Et dès 20 h, l’Up To You se vide déjà « très nettement », selon Maxime André qui a déjà quasiment réduit tous ses employés en extras et a demandé le chômage partiel. Et cette situation est plus ou moins similaire aux autres restaurants de l’agglomération.

En plus des théâtres et des cinémas, le couvre-feu s’applique dans toute l’Île-de-France, dont les Yvelines, à tous les restaurants et bars habilités à la restauration. Cette situation fait suite aux annonces du président Emmanuel Macron le 14 octobre, qui a dressé un bilan préoccupant de la propagation de l’épidémie.

Dans la foulée, la préfecture des Yvelines a publié un décret et un arrêté interdisant l’activité des bars sans restauration, des bars tabac et à chicha, le 17 octobre. C’est le cas du Social à Maurepas qui a dû fermer, alors qu’il venait tout juste de rouvrir le 10 octobre, après avoir entièrement réaménagé son espace, pour accueillir une clientèle assise. Mais, sans capacité de restauration, il doit fermer.

En revanche, les restaurants et bars habilités à la restauration, peuvent rester ouverts jusqu’à 21 h, mais ils doivent proposer des places assises à leurs clients. Ils ne peuvent accueillir sur une même table plus de six personnes, qui doivent se connaître. Sachant que les règles de distanciation entre chaque table et entre les groupes qui ne se connaissent pas, doivent être respectées. « Ça porte un coup terrible à ce métier et tout le monde se débrouille à l’heure actuelle », déclare Philippe Pain, président général Paris Île-de-France de l’Union des métiers et de l’industrie de l’hôtellerie (UMHI).

La baisse du chiffre d’affaires des restaurateurs est une des principales conséquences du couvre-feu. Tous les directeurs d’établissement interrogés par La Gazette ont commencé par mentionner cet état de fait. C’est le cas de Lydie Esteves, la directrice de la Ferme de Diane, aux Clayes-sous-Bois. « Il y a une grosse perte de chiffre d’affaires, même si c’est moins que pendant le confinement », indique-t-elle. Le bar à tapas, qui fait aussi restaurant de spécialités espagnoles, Cañas y Tapas, dans le centre commercial Mon Grand Plaisir, n’en pense pas moins. « L’impact est clair. […] On a perdu la moitié de notre chiffre d’affaires », indique le gérant Stéphane Guérin.

Alors, sur le nombre de couverts le constat est sans appel. « On n’a quasi plus de service le soir », avoue-t-il. Le 21 octobre, ils ont fait 20 couverts au lieu de 70-80 habituellement le soir, selon lui. « C’est l’une des plus petites journées en chiffre d’affaires que j’aie faites depuis l’ouverture », affirme-t-il. Cañas y Tapas a ouvert à Mon Grand Plaisir, le 28 août dernier. Ce lieu festif, avec ses grandes tables, accueille le plus souvent des afterworks, des anniversaires, des soirées entre amis et famille. Ce n’est désormais plus le cas. « Les chiffres baissent tous les jours et on est en vacances scolaires, alors imaginez après… », s’inquiète-t-il.

Au Tablier, à Montigny-le-Bretonneux, le constat est similaire. Dix couverts en fin de journée, au lieu de 45 habituellement. Et à la Ferme de Diane, le soir du couvre-feu, le restaurant n’a fait que 30 couverts, alors qu’il en réalise généralement 140 le week-end. « Je vous laisse imaginer la perte », indique la directrice, Lydie Estves.

Sachant que la vente à emporter n’a pas beaucoup de succès, mais « on essaye de sauver du chiffre d’affaires », poursuit-elle. Stéphane Guérin, le gérant du bar à tapas plaisirois, qui fait tourner sa cuisine toute la journée de 10 h à 20 h fait également du « click and collect » mais le succès n’est pas au rendez-vous. « 18 h c’est trop tôt (pour les clients, Ndlr) », constate-t-il.

En effet, le couvre-feu oblige la clientèle à consommer relativement tôt, si elle veut profiter de la soirée. Mais, cela ne semble pas correspondre à la culture française. « En France on ne vient pas manger à 17 h », observe Stéphane Guérin. D’où la perte d’une clientèle qui a pour habitude de venir manger à 20 h. Or, à cette heure-là, avec un couvre-feu à 21 h, « on n’a plus le plaisir de manger à la française et de prendre son temps », explique Lydie Esteves, à la Ferme de Diane, avant de poursuivre : « On a une clientèle de proximité qui travaille à Paris donc elle a pour habitude de venir tard. » Les gens ont peur aussi, selon cette dernière, même si « notre carnet de rappel rassure ».

Néanmoins, certains ont choisi de changer leurs habitudes, pour arriver plus tôt même si c’est juste pour prendre un verre avant de dîner. « On a une clientèle fidèle. Elle continue de venir », témoigne le directeur de l’Up To You. Le 20 octobre justement, quatre collègues de travail sont venus dans le bar restaurant à 17 h 45 au lieu de 18 h 30 habituellement. « On est venus plus tôt pour profiter, car on a de la route après et il faut qu’on soit rentrés avant 21 h », justifie Martin, un ingénieur travaillant à Élancourt. Effectivement, celui-ci habite à 50 minutes du bar. Un couple a également décidé de venir plus tôt pour continuer de pouvoir sortir le soir. « Il y a beaucoup de choses qui sont interdites donc on profite de ce qui est autorisé », reconnaît Pierre-Louis en compagnie de son amie.

On pourrait penser que les restaurateurs se rattrapent le midi en termes de fréquentation, afin de contre-balancer la perte de chiffre d’affaires le soir, comme le pense Philippe Pain, président général de l’UMHI. « à SQY, c’est une zone où il y a beaucoup de bureaux […], le service du midi peut encore les sauver », fait-il l’hypothèse. Mais tous les restaurateurs ne partagent pas cet avis. « Il y a la peur du Covid qui joue le midi », explique le directeur du Tablier. Stéphane Guérin, du Cañas y Tapas indique avoir perdu une clientèle le midi, en raison du télétravail des salariés : « Je le vois au nombre de Tickets Restaurants récoltés à la fin du service. »

Alors, nombreux sont les restaurants qui ont ou vont demander à bénéficier du chômage partiel. Certains comptent même réduire leurs effectifs. Au Tablier, le directeur envisage de baisser de 30 % son personnel, soit un employé en moins en cuisine et un en moins en salle. Il en va de même pour le bar à tapas, qui pense même réduire de moitié. « On ne peut pas continuer comme ça », lance Stéphane Guérin, qui n’envisage pourtant pas de fermer : « Il est hors de question que je ferme. »

En attendant, l’Union des métiers et de l’industrie de l’hôtellerie (UMHI) échange actuellement avec les pouvoirs publics pour obtenir des subventions, des allègements fiscaux ou encore des étalements en termes de charge, selon les affirmations de Philippe Pain, « pour éviter les fermetures ».

Pour autant, tous les restaurants ne sont pas affectés par le couvre-feu. C’est le cas du Maurepas, une brasserie et tabac, qui ouvre de 6 h 45 à 20 h. « Au niveau du midi je n’ai pas d’impact, résume Jean-François Vigouroux, le directeur de l’établissement à Maurepas, avant d’ajouter néanmoins : « Le soir, ça consomme vite et ça ne reste pas. » La clientèle aurait donc perdu de son entrain. « Le cœur n’y est pas. À 7 h 15 (le soir, ndlr) tout le monde a déserté. […] C’est pas euphorique. Les gens consomment moins. Il n’y a pas l’envie », note-t-il.

Une envie qui pourrait bien diminuer de semaine en semaine. Suite aux annonces du Premier ministre, Jean Castex, le 22 octobre, les mesures de restriction pourraient se durcir si le contexte sanitaire continue de s’aggraver. Il a déclaré « envisager des mesures beaucoup plus dures », après avoir étendu le couvre-feu à 38 autres départements, et à la Polynésie. D’autant que les indicateurs sanitaires se dégradent fortement dans les Yvelines, comme dans le reste de la France.