« Parce que je viens de Trappes, alors je me demande : est-ce que je suis légitime, est-ce que je vais réussir ? », lance Sébastien Boixel, le proviseur du lycée de la Plaine de Neauphle en amphithéâtre, face à une centaine de lycéens en terminale générale. Le 15 octobre, l’association des anciens élèves de l’École normale d’administration (Éna) est venue à la rencontre de ces élèves, étudiants dans un quartier prioritaire, pour leur présenter l’Éna et ses métiers, afin de les rassurer sur leur possibilité d’intégrer un jour cet établissement.

La question de l’égalité des chances est un sujet central pour cette association, qui souhaite diversifier les profils intégrant l’Éna. Aujourd’hui, 38 % de ses élèves sont boursiers et seulement 1 % ont un père ouvrier, selon la ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, Amélie de Montchalin, sur Cnews.

Cette école, qui forme les futurs ministres, fonctionnaires, magistrats, et inspecteurs, fête cette année ses 75 ans d’existence. À cette occasion, l’association des anciens élèves souhaite créer des partenariats avec des lycées, comme celui de la Plaine de Neauphle, pour développer un accompagnement avec leurs élèves, afin que ces derniers puissent un jour étudier dans cet établissement, connu pour être élitiste et difficile d’accès.

« On va les coacher dès le lycée, ce n’était pas le cas avant, explique Emmanuelle Collet-Plateau, stagiaire à l’Éna en mission dans les Yvelines et présente lors de l’intervention de l’association. On veut élargir leur champ des possibles. » Ainsi, il s’agira de désigner des parrains pour les lycéens au moment des choix d’orientation, pour ceux qui souhaitent aller vers des métiers auxquels forme l’Éna, selon la stagiaire. Cet accompagnement devrait se poursuivre après le baccalauréat au gré de rencontres, et de propositions d’immersion. La première aura d’ailleurs lieu le 9 décembre à l’Éna Paris. Les lycéens vont pouvoir rencontrer la direction, les élèves et ils visiteront les locaux.

Si l’association a choisi le lycée de la Plaine de Neauphle à Trappes, c’est notamment en raison des difficultés que doit surmonter la ville, selon le président de l’association, Daniel Keller. « Elle doit répondre à des questions qui touchent la diversité, l’intégration sociale, économique. Elle nécessite plus d’attention, plus d’efforts », explique-t-il. Le lycée de Trappes n’est d’ailleurs pas le seul a avoir été choisi dans cette opération de sensibilisation et d’accompagnement. L’association s’est déjà rendue à Creil, Pithiviers, et le 5 novembre, elle sera à Saint-Denis.

Pendant leurs interventions, des professionnels formés par l’Éna sont donc présents pour parler de leurs expériences et de leur métier, afin de rassurer les élèves et de leur donner envie. Mais ce n’est pas toujours simple de comprendre la réalité de leurs missions, qui semblent parfois abstraites, comme écrire « des notes diplomatiques ». L’un des intervenants, Raphaël Sodini, préfet délégué à l’égalité des chances, le confirme : « C’est compliqué de savoir quels mots employer, nous on baigne dedans et ça fait longtemps qu’on n’a pas été en terminale. »

En revanche, leur présence en tant qu’individu pourrait désacraliser l’établissement auprès des élèves. « Le fait de voir que c’est des gens réels, comme eux, qui sont accessibles, c’est comme ça qu’on peut les aiguiller et rendre l’Éna moins inaccessible », pense le préfet à l’égalité des chances. L’un des élèves en terminale générale semble avoir été convaincu : « C’est accessible pour moi l’Éna. Il y en a qui se donnent les moyens de faire et d’autres non », affirme Thibaud*.

Ce dernier n’exclut d’ailleurs pas d’intégrer l’école prestigieuse : « Ça me donne envie, car je veux me sentir utile dans la société. » Mais Thibaud, âgé de 16 ans, ne sait pas ce qu’il veut faire plus tard, et c’est le cas de beaucoup d’autres élèves en terminale. « C’est un peu flou concernant ce que je veux faire. Dans la psychologie, peut-être », s’interroge Lucas, aussi présent lors de l’intervention. Le préfet raconte aussi ne pas avoir su quoi faire à leur âge.

Alors, le proviseur tente de trouver des solutions. « Il y a un gros travail à faire avec les professeurs principaux pour leur apprendre à choisir leur orientation, et choisir c’est renoncer. L’idée de l’Éna est donc ici d’apporter l’aide des anciens. Peut-être qu’il y en a qui oseront. »

* le prénom de l’élève a été changé.