« C’est la catastrophe. » « C’est devenu l’enfer. » De nombreux Magnycois sont unanimes : depuis le déconfinement et la reprise des vols à l’aérodrome de Toussus-le-Noble, leur quotidien est devenu insupportable. Ceux avec qui La Gazette a pu échanger, tout comme le maire de Magny-les-Hameaux, assurent que les nuisances sonores sont désormais pires qu’avant la période de confinement. La situation est telle que l’Alliance associative, un collectif d’une quarantaine d’associations de riverains des communes voisines de l’aérodrome – dont fait partie l’Association ciel calme à Magny-les-Hameaux (ACCMH) – a décidé de quitter la table des négociations pour l’instant.
Elle ne prendra donc plus part aux réunions régulières organisées en préfecture avec les usagers, la Direction générale de l’aviation civile (DGAC), le gestionnaire de l’aérodrome Aéroports de Paris (qui n’a pas répondu à nos sollicitations, Ndlr) et les maires des communes environnantes. Du côté des usagers de l’aérodrome comme de la préfecture, on se demande si le sentiment d’aggravation ne serait pas lié aux deux mois de confinement et de calme complet qui viennent de s’écouler.
« Depuis le déconfinement, avec le beau temps, c’est open bar. Il y a eu un accroissement du trafic, c’est indéniable, résume Xavier, un habitant du hameau de Cressely à Magny-les-Hameaux, rencontré un après-midi en semaine début juin. Normalement, ils sont cinq ou six avions par heure en tour de piste. Mais [depuis le déconfinement], j’ai compté, il y a des moments où il y a un avion qui passe toutes les 20 secondes. »
Le temps de notre discussion d’une demi-heure, au moins six avions ont survolé son habitation, où il vit avec sa femme depuis près d’un an. Sauf que Xavier affirme qu’aucune trajectoire ne se trouve au-dessus de sa maison et en conclut que des pilotes ne les respectent pas. Il ajoute avoir déjà vu des avions « voler à trois de front » et que certains « ont failli se heurter » sous ses yeux.
Une voisine du quartier, qui y habite depuis 17 ans, estime également que « c’est de pire en pire », et tous témoignent de conséquences « sur la santé, sur le moral… » : « Là, vous avez l’impression d’avoir constamment une tondeuse à gazon… C’est devenu obsédant. » Les habitants du hameau de Cressely ne sont pas les seuls à subir ces nuisances sonores. Sur les réseaux sociaux, plusieurs Magnycois témoignent de l’impossibilité de télétravailler les fenêtres ouvertes, d’une situation « insupportable » et de vols à plus basse altitude qu’habituellement.
Christian Mauduit, président de l’ACCMH, investi de longue date sur le sujet des nuisances sonores de l’aérodrome, souligne recevoir de très nombreux mails d’habitants et de plus en plus de demandes d’adhésion à son association. « C’est devenu invivable », avance Christian Mauduit, excédé et visiblement désemparé. Selon lui aussi, la situation est en effet pire depuis le 11 mai qu’avant le confinement. « Mais complètement, ils (les pilotes, Ndlr) s’éclatent, ils sont libres comme l’air, nous répond-il, très critique envers les différentes administrations à qui il reproche de ne pas agir. Les trajectoires ne sont plus respectées, on voit quelquefois plusieurs avions qui circulent en même temps et on nous dit que ce n’est pas possible… »
Christian Mauduit fait un parallèle avec le confinement, qui a logiquement été d’un calme complet pour tous les riverains de l’aérodrome. « On a été confinés pendant deux mois et aujourd’hui il faudrait qu’on se reconfine pour le plaisir des usagers qui font des tours de pistes au-dessus de nos têtes et qui ne respectent aucune consigne, tranche le président de l’ACCMH. On nous a protégés contre le coronavirus, mais on ne nous protège pas contre les nuisances sonores… » Son association a écrit courant mai à la préfecture pour lui faire remonter ce problème.
Dans ce dossier, ils sont soutenus par le maire de Magny-les-Hameaux, Bertrand Houillon (Génération.s), qui a également écrit au préfet pour appeler à la reprise des négociations au plus vite et au respect des règles de navigation. Habitant la commune, il est également témoin de la situation. « Aujourd’hui, franchement, c’est l’anarchie dans le ciel », résume le maire, contacté début juin, insistant « sur la responsabilité de l’État par rapport à la diminution des bruits dans l’environnement ».
« Depuis le déconfinement, […] c’est du grand n’importe quoi sur les hauteurs de survol, les régimes moteurs qui peuvent être utilisés, et les trajectoires qui ne sont plus respectées, soutient Bertrand Houillon. On se demande presque s’il reste des règles en fait… » Le maire assure recevoir de nombreuses demandes d’habitants, stupéfaits « et le mot est faible », et « pas uniquement dans les zones proches des trajectoires classiques ».
Des affirmations avec lesquelles ne semblent pas d’accord les pilotes de l’aérodrome, notamment Yves Gascuel, président de l’Union des aéroclubs de Toussus (UAT). L’association regroupe les principaux aéroclubs de l’aérodrome, qui représentent « la moitié des vols », d’après Yves Gascuel (les écoles de pilotage et les pilotes privés ne font pas partie de l’UAT, Ndlr). Le président de cette dernière confirme que le nombre d’avions dans le ciel a logiquement augmenté par rapport à la période « d’arrêt total des vols pendant le confinement » mais estime que ce chiffre « est tout à fait comparable à ce qu’il y a eu à la même période l’année dernière ».
Par ailleurs, Yves Gascuel réfute catégoriquement le non-respect des trajectoires, en ce qui concerne les membres de l’UAT en tout cas. « Suite aux plaintes de certains riverains, nous avons fait un contrôle pour vérifier si c’était le cas ou pas, nous assure-t-il. Et le résultat de ce contrôle a été que nous avons constaté que la quasi-totalité des avions d’aéroclubs observés respectait les trajectoires. »
Alertée par les habitants et des élus, la préfecture a bien conscience du ras-le-bol des riverains. Elle met cependant aussi la situation actuelle en regard des deux mois de confinement. « Il y a deux choses à mon sens, nous explique un haut responsable de la préfecture début juin. La première, c’est qu’on a été en confinement pendant plusieurs mois, sans vol. Donc il peut y avoir ce décalage entre la période de silence total et la reprise de l’activité aéronautique. Pour les riverains, cette différence peut faire que ce soit mal ressenti et mal vécu, sans pour autant qu’il y ait de différence avec la période d’avant confinement. »
Le deuxième aspect concerne le potentiel non-respect des trajectoires avancé par les riverains. « Mais ça, il faut qu’on arrive à le qualifier, indique la préfecture. On fait des contrôles radar pour voir si des pilotes sortent de leur trajectoire, des gens qui n’ont pas volé depuis un certain temps, qui sont pressés de voler et ne font peut-être pas attention à toutes les règles. Mais je pense que c’est une minorité. » Les services préfectoraux mènent donc « un travail d’analyse de données », « en cours » mais « très long », dont ils espèrent avoir les résultats « d’ici fin juin ».
Les riverains comme le maire de Magny-les-Hameaux balayent l’argument que le confinement aurait changé la perception du bruit. « C’est un déni de la situation, je n’accepterai pas ce type de réponse, tranche Bertrand Houillon. Ce n’est pas une question de ressenti et d’habitude du confinement, où tout d’un coup on redécouvrirait qu’il y a des avions, vraiment. »
Pour échanger sur la situation actuelle – mais aussi pour discuter à nouveau de l’expérimentation Calipso (voir les éditions du 30 octobre 2018 et du 26 février 2019) -, la préfecture organise une réunion de concertation le 19 juin où sont conviés, selon nos informations, les différents acteurs : la DGAC, Aéroports de Paris, des maires des communes environnantes, des représentants des usagers, et deux associations de riverains. L’Alliance associative fait partie de ces deux associations, sauf qu’elle a d’ores et déjà annoncé qu’elle ne prendrait pas part à la réunion.
« Aujourd’hui, vu les conditions actuelles, on est dans une grande perplexité par rapport à l’efficacité de discussions, de concertations, etc., regrette Christian Mauduit. Aujourd’hui, tout le monde est excédé, c’est un euphémisme. Il faut absolument qu’il se passe quelque chose d’important pour qu’on revienne à la table des discussions. » Même l’expérimentation Calipso lancée en avril 2019, qui avait nécessité de nombreux échanges entre les différentes parties et sur laquelle l’Alliance associative avait fondé beaucoup d’espoirs pour réduire les nuisances sonores, ne trouve vraisemblablement plus grâce aux yeux des riverains.
Pour rappel, cette expérimentation vise à restreindre les droits de vol, notamment en tours de piste, selon l’indice de performance sonore des avions (dit « Calipso », Ndlr), pour les samedis, dimanches et jours fériés. En échange, les avions les moins bruyants ne sont plus soumis à la plage de silence des dimanches et jours fériés entre 12 h et 15 h. Contrairement aux associations de riverains, la DGAC en a pourtant dressé un bilan positif.
Dans un document présenté en février dernier, elle note en effet, pour les jours concernés par l’expérimentation : « 1 600 tours de piste en moins, baisse alimentée plus fortement par les classes bruyantes, dans un contexte de forte augmentation du trafic (22 % de vols en plus, Ndlr) ». Le document conclu que « les effets de l’arrêté [qui a instauré l’expérimentation] sont démontrés, que ce soit sur le trafic ou les données acoustiques ».
Une expérimentation également vue positivement par l’Union des aéroclubs de Toussus. « Le résultat quantitatif fait par la DGAC montre une très nette réduction des nuisances sonores, insiste Yves Gascuel. D’un point de vue factuel, il n’y a pas débat : les nuisances ont été diminuées. Ça ne correspond pas à ce que disent certains riverains au niveau de la perception. » L’UAT estime donc que le bilan de l’expérimentation est « équilibré ».
« Nous, usagers, on y a perdu des autorisations de vol pour les avions les plus bruyants, et à l’inverse, pour nos avions les moins bruyants, on peut voler un peu plus. C’est une incitation vertueuse, juge le président de l’UAT. Donc on pense que le mécanisme mérite d’être poursuivi, éventuellement amélioré. On est ouverts au dialogue, mais dans un principe d’équilibre : une solution qui aille dans le sens de l’intérêt des riverains, sans empêcher les usagers de voler. »
Le député de la circonscription, Jean-Noël Barrot (Modem), qui travaille depuis le début de son mandat sur ce sujet, félicite également ces discussions entre usagers et riverains qui ont abouti à l’expérimentation. Et souhaite qu’elles se poursuivent – il y prend d’ailleurs part – même si les associations de riverains semblent devenir sceptiques. « Je ne veux pas renoncer à l’idée qu’on puisse trouver un compromis acceptable, estime le député. Je crois qu’il faut travailler à la fois sur les trajectoires et sur les conditions de circulation, mais aussi regarder comment la grille (les plages de vols, Ndlr) basée sur la classification Calipso peut encore évoluer dans une direction qui permette de minimiser les nuisances sonores sans mettre en danger la survie des aéroclubs. »
Après le bilan de février, les discussions, qui devaient continuer au sujet de la poursuite de l’expérimentation, ont été interrompues par le confinement. Sauf que l’Alliance associative ne devrait donc plus y prendre part pour l’instant. L’ACCMH estime que cette expérimentation « n’a pas donné du tout de résultats ».
« Le trafic est toujours le même, voire supérieur. Mais au lieu que ce soit dans des créneaux avec interdictions, ça se passe sur les autres créneaux : on ne fait que reporter les nuisances à d’autres moments de la semaine ou du week-end. Même les avions peu bruyants sont très audibles, critique Christian Mauduit, qui soutient ouvertement avoir l’impression que le travail mené pendant des années pour arriver à cet accord n’a servi à rien. Tant qu’il n’y aura pas quelque chose de concret et qui apporte vraiment un progrès mesurable et perceptible par les riverains, nous on ne discutera plus. »
Mais quelles mesures pourraient alors améliorer la situation ? « C’est évident que, maintenant, il faut généraliser des systèmes de contrôle dans toutes les zones habitées, et mettre en place des mesures qui permettront de réduire ce niveau de bruit, tranche le président de l’ACCMH. Tant qu’on ne sera pas arrivé à 45 dB (en 2018, l’Organisation mondiale de la santé a estimé qu’un niveau sonore supérieur à cette valeur est associé à des effets néfastes sur la santé, Ndlr), finalement on n’aura pas atteint notre objectif. »
Christian Mauduit annonce que l’Alliance associative compte prochainement « faire une large pétition » et n’exclut pas l’organisation d’une manifestation « si on n’est pas entendus ». La fermeture de l’aérodrome est souvent évoquée, même si nos interlocuteurs expriment ne pas vouloir en arriver là. « On ne souhaite pas la fermeture de l’aérodrome, on souhaite vivre dans une zone où on n’est pas perturbés à ce niveau-là par les survols », avance Christian Mauduit.
Le maire de Magny-les-Hameaux, comme il le concluait d’ailleurs dans sa lettre au préfet, ne semble quant à lui pas écarter l’idée que la fermeture soit un jour réclamée. « Les choses sont très claires pour moi, pour les riverains aussi, estime Bertrand Houillon. À un moment, si l’État n’est pas en capacité de régler la problématique du bruit dans l’environnement, avec une diminution claire, on reviendra à une demande de fermeture de cet aérodrome, parce que dans ce cas-là, il n’est pas compatible avec les logements qui se sont construits autour au fil des années, notamment à la demande de l’État. »
Le ras-le-bol semble en tout cas avoir atteint son paroxysme chez de nombreux riverains de l’aérodrome de Toussus. Plusieurs redoutent « qu’un jour, des gens pètent les plombs » si la situation perdure…