« Le matin même, j’étais encore en train de faire des petites courses à Metro », se souvient Karim Medjahed, gérant du restaurant Le Saule en sel, à Guyancourt. L’annonce faite le 14 mars dernier par le premier ministre Édouard Philippe, d’une fermeture « de tous les lieux recevant du public non indispensables à la vie du pays », notamment les restaurants, pour le soir même à minuit, en raison du coronavirus, le laisse encore incrédule. « Ça a été un peu un choc, car je n’étais pas particulièrement touché par cette baisse [d’activité avant la fermeture], même si j’en entendais parler dans les autres restaurants, évoque-t-il. Le dimanche (au lendemain de la fermeture, Ndlr), j’ai dû appeler l’équipe pour faire du nettoyage et de la distribution au voisinage de tout ce qui était périssable. »

Comme lui, ses confrères restaurateurs ont été mis devant le fait accompli, à SQY comme dans l’ensemble du pays. « On s’y attendait, mais […] pas comme ça, pas à 19 h pour minuit », confie Aurélien Lecluyse, qui possède le Cozy et le O’Roaster à Plaisir. « C’était catastrophique, regrette Isabelle Bianchi, à la tête de l’Auberge du Manet à Montigny-le-Bretonneux. Il y a énormément d’entreprises à SQY, on a énormément de repas d’affaires, […], beaucoup d’Italiens, d’Espagnols, des Français qui voyagent, et en termes de clientèle loisirs, on a toute la clientèle ignymontaine, saint-quentinoise, versaillaise, pour les banquets, les mariages, communions, les repas familiaux, d’anniversaire. Il a fallu tout annuler. »

Plus de deux mois après, les portes sont toujours fermées. Et économiquement, la note est très salée. « Fin janvier-début février, on s’est retrouvés avec 40 % de chiffre d’affaires en moins, au mois de mars 80 % en moins », déplore Isabelle Bianchi, ajoutant que les pertes s’élèvent à « 100 000 euros ».

Un bilan très lourd que la vente à emporter ou la livraison sont très loin de compenser. « C’est 20 % de notre chiffre d’affaires », fait savoir Jérôme Capiaux, directeur de la Kantine, restaurant situé au sein de la pépinière d’entreprises Promopole, à Montigny-le-Bretonneux, qui a rouvert le 11 mai uniquement sous ce format. Ses quelques clients sont accueillis dans des conditions sanitaires strictes, entre accès par l’extérieur de la pépinière, marquage au sol pour respecter les distanciations, gel hydroalcoolique à l’entrée ou encore bâche à la caisse.

Vente à emporter aussi au Saule en sel, tandis que d’autres restaurants y ont eux renoncé. « Non seulement je n’ai jamais eu la demande, mais en plus ce n’est pas jouable, même économiquement parlant », explique Isabelle Bianchi.

Autant dire que dans ce contexte, les aides économiques sont vitales, mais « à part le chômage partiel, il n’y a rien, peste la gérante de l’Auberge du Manet, qui y a eu recours pour sa trentaine de salariés. Pour les petites entreprises, il y a eu un fonds de solidarité, mais moi je n’y ai pas droit (il faut avoir au plus 20 salariés, Ndlr). »

« Aujourd’hui, bien sûr que c’est compliqué car on n’a plus de chiffre ou très peu, mais les salaires sont pris en charge, les bailleurs font un effort, l’EDF suspend ses prélèvements, donc on est dans un halo où on a très peu de charges, estime malgré tout Jérôme Capiaux, qui a placé ses quatre salariés en chômage partiel. Ma grande inquiétude, c’est après l’été, c’est là où on va voir si on s’en sort ou pas. »

Et de préciser : « La problématique va se poser très vite avec les charges qui vont repartir, …, les prêts à rembourser, les salaires, … ça va être une charge que l’on ne va pas pouvoir assumer si l’activité ne reprend pas au moins à 80 %. Si ce n’est pas le cas, on ne passera pas la fin de l’année, ou alors par des licenciements. »

Même son de cloche, chez Karim Medjahed, lui aussi habitué à une clientèle majoritairement professionnelle : « Ce n’est pas maintenant qui est compliqué, ça va être après, à partir de septembre. Quand on va nous annoncer que les reports de crédits arrivent à échéance, qu’il va falloir payer les reports de charges […]. En sachant que dans la mentalité des gens, il y aura encore une petite crainte et on ne se retrouvera pas du jour au lendemain à remplir son restaurant. » Il évoque lui aussi le spectre des licenciements mais ne « pense pas que l’on va en arriver là. »

Aurélien Lecluyse se montre lui plus catégorique : « La part patronale, ce serait sympa qu’ils nous l’enlèvent jusqu’à la fin de l’année, pour que l’on puisse garder nos employés. [Sinon], je serai obligé de licencier une personne en salle et une en cuisine au Cozy, et j’en aurai deux en moins aussi au O’Roaster. »

Les restaurateurs saint-quentinois sont aussi préoccupés qu’impatients de rouvrir, alors que le gouvernement doit se prononcer cette semaine sur les conditions d’une réouverture des restaurants. « On est prêts, on attend d’avoir cette autorisation, affirme Isabelle Bianchi. D’autant que l’on est un grand restaurant, il n’y a pas de problème sur les distances, on a une grande terrasse. »

« J’ai une surface importante, donc je peux facilement gérer sur les 310 ou 320 m² que j’ai, des vagues de clients, tout en gardant la distanciation, la marche en avant, avoir une entrée et une sortie bien distinctes, assure Jérôme Capiaux. Tout va être notifié, il y aura une chaise sur deux, des annotations au sol… » Et le directeur de la Kantine de conclure : « Ça va être un peu long avant que l’on retrouve vraiment ce qu’il y avait avant. Mais au moins que l’on ait cette capacité à se dire ‘‘On vient pour quelque chose’’. »