« Voilà la marée humaine. On sent qu’on est omniprésent dans leur tête », ironise Florent*, un manager cadre-traction de la SNCF, désignant le flot de Franciliens arrivant sur le quai du train de la ligne N, sans un regard vers la cabine du conducteur. Dans le transilien numéro 7609, le 27 septembre en gare de Paris-Montparnasse, le conducteur de ligne, Antoine Debuire, âgé de 19 ans, et son manager viennent d’amener ce train vide depuis le dépôt de Trappes. Et les passagers ne le savent pas, mais Antoine Debuire a dû faire une heure de vérification dans le transilien avant de le faire partir. Pendant cette procédure habituelle, tout est vérifié puis testé, du klaxon jusqu’au frein. Cette exigence sécuritaire est le propre de ce métier, aux conditions de travail difficiles et où le plus souvent, le conducteur est seul face à sa machine.

Antoine Debuire, tout juste diplômé, est cheminot depuis mai 2019. Passionné par les trains depuis l’âge de 3 ans, il a toujours voulu conduire ces engins. Alors après un bac scientifique, et un début de licence à Rennes, il décide d’intégrer la formation de conducteur de ligne de la SNCF. À l’image de la profession, la sélection est rude.

Sur une centaine de candidatures, seules cinq sont en moyenne retenues et la moitié réussira l’examen de fin d’année, selon les affirmations du manager Florent. En effet pour être sélectionné, il ne suffit pas d’envoyer un CV et une lettre de motivation : des tests psychomoteurs, de personnalité, de mathématiques et de logique doivent être passés, afin de vérifier les aptitudes des candidats. Des entretiens avec des psychologues, ou encore des experts métier font également partie du parcours de sélection.

Antoine Debuire est un passionné. Quand il est dans sa cabine, « ça donne le goût du voyage, l’ambiance est spéciale », apprécie-t-il avec les yeux qui pétillent.

La formation a ensuite le même niveau d’exigence. Antoine Debuire s’en souvient : « C’était compliqué d’apprendre des procédures par cœur et de se rappeler les premiers modules. » Mais après un an de formation, il réussit l’examen et devient conducteur de la ligne N. Antoine découvre alors des conditions de travail qui ne sont pas de tout repos.

« Le conducteur de ligne vit en perpétuel décalage », explique son manager. « Ça m’arrive régulièrement de reporter des soirées », témoigne Antoine Debuire. Et les horaires décalés exigent la faculté de s’endormir à n’importe quelle heure de la journée. « J’ai du mal avec le sommeil et à m’endormir sur commande. Le corps n’arrive pas toujours à suivre, confie le jeune conducteur de la ligne N. C’est le seul point négatif. »

En effet Antoine Debuire est un passionné. Quand il est dans sa cabine, « ça donne le goût du voyage, l’ambiance est spéciale », apprécie-t-il avec les yeux qui pétillent. Florent est aussi un féru de train. « Quand on voit cette énorme machine, on n’est pas insensible, affirme-t-il. Chez la plupart des cheminots, il y a ce métier fantastique qui attire. »

Mais ce métier de vocation se paye cher. La solitude, par exemple, occupe une place importante dans la profession. En raison de leurs horaires décalés, c’est difficile de « rendre compatible sa vie de travail avec sa vie de famille […], il y a des fois on se sent un peu seul », confie le manager. Ce qui n’est pas encore le cas pour le jeune conducteur : « Je ne le sens pas encore. » Au contraire, il a l’impression d’être proche des passagers. Surtout quand il annonce le départ en gare. Les voyageurs l’ont sûrement déjà entendu dire : « Attention au décollage. […] prochain arrêt : la magnifique station balnéaire de Viroflay. » Il salue aussi chaque conducteur qu’il croise sur les voies.

Seul dans sa cabine, Antoine Debuire fait également attention à tout ce qu’il voit. « Il y a énormément de procédures. C’est très minutieux », affirme Florent, attentif aux gestes de son jeune conducteur. Avec un train lancé à presque 140 kilomètres à l’heure maximum, l’attention et la concentration doivent être optimales. Pour ce faire, des points d’appui doivent être maintenus en continu, mais seulement entre deux secondes et demie et 55 secondes, sinon c’est l’arrêt d’urgence.

En parallèle, le conducteur doit aussi repérer et mémoriser toute la signalétique qu’il croise pour agir en conséquence au moment venu. Par exemple : « Il y a le feu blanc, il faut donc vérifier la direction, et faire attention qu’il n’y ait personne sur les voies, puis penser au changement de vitesse […]. Avant Clamart il anticipera le freinage à cause des conditions météo », énumère le manager, pendant qu’Antoine Debuire, concentré, enchaîne parfaitement toutes les opérations.

Mais pendant que les 1 000 à 2 000 passagers à bord passent un voyage sans encombre et sans retard, en direction de Rambouillet, le manager déplore, « c’est un métier frustrant, […] on est pas toujours considéré à notre juste valeur. »

* Le nom a été modifié à la demande du concerné.