« Je compare la police municipale au football : c’est le club qui payera le mieux. » Plusieurs policiers municipaux eux-mêmes comparent le recrutement dans leur profession au monde du football tant chaque commune doit enchérir pour embaucher puis conserver ses effectifs. La semaine dernière, Villepreux s’est fendue d’un communiqué de presse dans lequel elle souligne ses difficultés à recruter des policiers municipaux au regard du manque d’agents et de la concurrence accrue entre les villes pour les faire venir chez elles, avec la crainte de devoir en arriver à fermer sa police municipale.
Le premier magistrat de Villepreux, Stéphane Mirambeau (maire d’une majorité SE, mais personnellement LREM) a en conséquence écrit au président de la République pour lui faire une « demande d’évolutions réglementaire pour faciliter le recrutement et la formation des agents de police municipale ». Le cas de Villepreux est loin d’être isolé, les Clayes-sous-Bois fait par exemple face à des difficultés similaires et n’avait même plus de policiers municipaux début 2018. D’autres communes s’en tirent mieux, à l’instar d’Élancourt qui a massivement investi dans la sécurité, compte plus d’une vingtaine d’agents, et est parfois considérée comme « le PSG du secteur » au niveau de sa police municipale.
Sollicité par La Gazette, Grégory Bion, délégué yvelinois du Syndicat national des policiers municipaux (SNPM) confirme que « toutes les municipalités tentent de se doter d’une police municipale ou augmentent leurs effectifs ». Les villes doivent donc être attractives pour attirer des policiers municipaux, qui peuvent eux se montrer exigeants. Pour Grégory Bion, les délais d’attente pour que les policiers municipaux accèdent à leur formation devraient être raccourcis et les mutations « trop faciles » permettent à certains « de jouer au mercenaire et d’aller à la police municipale la plus offrante ».
Début mars, Villepreux a donc envoyé un courrier à Emmanuel Macron, ainsi qu’au premier ministre, au ministre de l’Intérieur, aux parlementaires et aux différentes associations de maires. « Cette lettre […] a pour objectif d’alerter l’État, l’Assemblée nationale et le Sénat des grandes difficultés rencontrées dans le recrutement des agents de police municipale. En cause, l’inadéquation entre la réglementation et la réalité du terrain », indique un communiqué de la commune envoyé à la presse la semaine dernière.
Contacté pour plus de précisions, Stéphane Mirambeau nous explique que Villepreux compte actuellement trois postes et demi de policiers municipaux. « L’objectif était un minimum de six, ce qui permettrait de répondre de manière efficace à nos objectifs », souligne le maire. Ce chiffre fut déjà atteint, mais « pendant un temps extrêmement court parce que nous souffrons aujourd’hui […] d’une concurrence très importante de villes possédant plus de moyens », poursuit-il, évoquant des communes des Hauts-de-Seine et l’annonce de la ville de Paris de se doter d’une police municipale.
« Là, nous avons deux personnes qui sont arrivées, dont une [a ensuite été débauchée] par une grosse ville de Saint-Quentin-en-Yvelines, relate Stéphane Mirambeau. C’est le jeu, je ne suis pas en train de dire que c’est la responsabilité des grosses villes, c’est le fonctionnement qui ne va pas. Les policiers municipaux déjà en place ont tellement de choix entre les villes, qu’ils choisissent celles qui ont le plus d’avantages, les meilleurs salaires, les horaires, etc. Je ne peux pas proposer ça. »
Le maire de Villepreux critique également le processus de recrutement et de formation des policiers municipaux. « Souvent, la personne cherche les plus petites villes qui ont quelques difficultés à recruter, elle se forme pendant quelques mois, puis est recrutée par d’autres villes, regrette Stéphane Mirambeau. Donc on a sans cesse des gens qui arrivent, se forment à nos frais, utilisent le système et après sont recrutés par des plus grosses villes. C’est ce que nous vivons depuis plusieurs années maintenant. »
Une situation qui pourrait mettre en péril la présence d’une police municipale à Villepreux. Malgré un développement voulu pour sa police municipale, Stéphane Mirambeau écrit à Emmanuel Macron : « La pénurie de policiers municipaux et l’absence de réforme visant à faciliter leur recrutement […] rendent le recrutement quasiment impossible pour des collectivités telles que la nôtre. Allons-nous devoir fermer notre police municipale faute de policiers municipaux ! »
Et le cas de Villepreux n’est évidemment pas unique. À Saint-quentin-en-Yvelines, d’autres communes font également face à des difficultés similaires, avec l’autre exemple des Clayes-sous-Bois. Lors d’une réunion publique en juin 2018, la maire de cette commune, Véronique Coté-Millard (UDI), avait expliqué avoir également fait face à une vague de départs : ayant compté jusqu’à six ou sept policiers municipaux et Agents de surveillance de la voie publique (ASVP), ce chiffre était tombé à zéro début 2018.
Depuis, la ville a réussi à redresser la barre et compte « une policière municipale et trois ASVP », explique Véronique Coté-Millard dont l’objectif est de revenir à un total de « sept », mais le recrutement s’avère toujours aussi compliqué. « En plus, certaines villes sont plus attractives que d’autres, celles qui peuvent avoir de gros effectifs, peuvent proposer du H24, […] des logements de fonction, […] ce qu’on n’est pas en mesure, nous, de fournir », souligne-t-elle.
Mais ce n’est pas l’unique raison désignée par la maire des Clayes-sous-Bois. « On a de moins en moins de policiers qui veulent faire ce métier, ce n’est pas un métier facile, ce n’est pas un métier qui est non plus extrêmement bien rémunéré, expose Véronique Coté-Millard, parlant d’une « crise de vocation », exemples à l’appui. Dans nos policiers municipaux, deux ont voulu changer complètement de métier parce qu’ils ne se sentaient plus suffisamment en sécurité dans le fonctionnement actuel. »
Et pour essayer de poursuivre son recrutement, les Clayes-sous-Bois peut miser sur le renouvellement complet de son dispositif de vidéosurveillance, ainsi que sur le projet actuellement à l’étude de mutualiser sa police municipale avec la commune voisine de Plaisir. « Quand on a peu de policiers, on est obligé de leur imposer un certain calendrier, indique Véronique Coté-Millard. Quand ils sont plus nombreux, l’organisation peut être un peu plus adaptée en fonction des uns et des autres, ils peuvent partager leur expérience. Peut-être qu’on deviendra plus attractive dans nos recherches avec une police plus étoffée, et ça valorise les missions d’être sur deux territoires. »
Grégory Bion, délégué yvelinois du SNPM et chef de la police municipale d’Épône, confirme en effet échanger régulièrement avec des villes qui n’arrivent pas à recruter, lui-même y étant confronté. « J’ai le même problème : j’ai un poste à pourvoir, j’attire beaucoup de candidats, mais au final j’ai beaucoup de mal à les faire venir, concède Grégory Bion, joint par téléphone la semaine dernière. Pourquoi ? Parce qu’il y a beaucoup de postes qui s’ouvrent, et il y a très peu de candidats. »
Pour lui, ce que « les collègues » recherchent sont donc souvent en premier lieu « le salaire », puis « le matériel, les conditions de travail » et « les missions ». Et de préciser sur ce dernier point : « Les policiers municipaux ont une soif de reconnaissance depuis plusieurs années, et du coup ils se retrouvent des fois dans des petites communes où on les prend encore pour le garde champêtre […]. Et ça, les policiers municipaux ne le veulent plus, parce [que] la formation leur apprend l’étendue de leurs pouvoirs, qui a explosé. »
Il ajoute également que l’armement de la police municipale est devenu un facteur important, ce qui est par exemple le cas à Villepreux mais pas aux Clayes. « Je vois des policiers qui sont armés maintenant chez moi et qui disent : ‘‘je n’irai plus jamais dans une police municipale non armée, avec les risques qu’il y a de terrorisme, des agressions physiques, etc’’. » De plus en plus de communes tendent justement à armer leur police municipale, comme cela a récemment été le cas à Montigny-le-Bretonneux.
Mais toutes les communes ne sont pas logées à la même enseigne face à ces problèmes de recrutement. À Élancourt, commune Saint-quentinoise a avoir l’un des effectifs les plus fournis de l’agglomération avec 32 personnes (dont 21 policiers municipaux, huit ASVP, des administratifs et des opérateurs vidéo, Ndlr), on semble en effet moins touché. « On a beaucoup de turnover, concède cependant Christophe Bekanowski, responsable de la police municipale élancourtoise, parce qu’à l’heure actuelle, c’est comme dans le football, c’est le mercato. […] J’ai perdu quelques agents récemment parce qu’ils partaient dans le 92 où ils sont mieux rémunérés, ils touchent des primes, que nous, nous ne sommes pas en mesure de leur verser. »
Mais la ville peut compter sur les importants investissements réalisés depuis 1996, qui a permis de passer de « trois » agents à un « effectif de 32 personnes », estime André Baudoui (LR), conseiller municipal délégué à la sécurité à Élancourt. « Nous avons augmenté les effectifs, nous leur avons donné des équipements adaptés, qui soient des véhicules ou des équipements spécifiques pour chaque policier municipal », résume-t-il.
Et le conseiller municipal de lister ces équipements qui vont des motos à l’important dispositif de vidéosurveillance, en passant par les lanceurs de balle de défense ou encore les armes létales ; ainsi que les différentes brigades mises en place, équestre, nocturne, canine, etc. Autant de mesures qui, selon Christophe Bekanowski, font l’attrait de la police municipale d’Élancourt, qui compte d’ailleurs dans ses rangs des policiers venus d’autres communes de l’agglomération.
Le chef de la police municipale d’Élancourt s’est même fait dire que « Élancourt, au niveau de la police municipale, c’est le PSG du secteur ». Même s’il confirme que les policiers municipaux savent qu’ils sont demandés et que « c’est de la surenchère permanente » : « Maintenant, les gars m’appellent, il y en a qui ont 20 ans et viennent d’avoir le concours [et] me demandent, [avant] de passer l’entretien : ‘‘Combien je vais gagner ? Combien de jours de congé je vais avoir ? Et qu’est ce qu’on a comme équipement ?’’ »
Par ailleurs, la quasi-intégralité des personnes contactées par La Gazette dans le cadre de cet article pensent que certaines règles devraient évoluer. Actuellement, par exemple, les policiers municipaux passent leur concours puis doivent être embauchés par une ville, qui va leur payer leur formation de plusieurs mois avant qu’il ne puisse œuvrer sur le terrain. Et dans certains cas, à peine cette formation terminée, ils rejoignent d’autres collectivités (la ville qui recrute doit alors rembourser les frais de formation engagés par la commune initiale, Ndlr). « En tant que délégué syndical, comment je vois la chose, c’est que les policiers [municipaux] devraient avoir un concours comme en police nationale, ils devraient partir du coup en école comme la police nationale et la gendarmerie, et une fois sortis d’école, là ils pourraient trouver une affectation », propose Grégory Bion.
De son côté, dans son courrier adressé à Emmanuel Macron, Stéphane Mirambeau propose deux « évolutions réglementaires pour faciliter le recrutement et la formation des agents de police municipale ». La première consisterait à alléger la durée de la formation pour les agents venant de la police nationale, de l’armée ou encore de la gendarmerie. « Comment justifier que des agents déjà expérimentés et formés à la sécurité doivent suivre la même formation (six-huit mois) qu’une personne sans expérience jeune lauréat du concours ? », écrit-il au président. Sa seconde demande propose de « raccourcir les délais d’attente pour la formation initiale, comme pour l’armement, afin de rendre rapidement opérationnels les nouveaux agents ». Le maire de Villepreux souhaite un « délai maximum de deux mois » entre l’arrivée de l’agent dans la collectivité et la formation.
Pour cette seconde proposition, Grégory Bion, délégué yvelinois, est tout à fait d’accord. « Quand vous recrutez un policier [municipal] issu du concours, il arrive chez vous, vous devez faire une demande d’agrément et une demande d’assermentation auprès de la préfecture, qu’elle ne peut pas délivrer tant que le policier n’est pas formé, détaille-t-il. Cependant, des fois, pour partir au Centre nationale de la fonction publique territoriale (CNFPT), vous avez un délai de six à sept mois. Donc vous avez un policier qui ne sert à rien parce que théoriquement, il n’a pas le droit de sortir sur la voie publique, il n’a pas le droit de mettre un PV, etc. Du coup vous avez un policier que vous payez six à sept mois à errer dans votre poste de police. »
Cependant, Grégory Bion affiche son désaccord avec la première proposition du maire de Villepreux. « Je ne pense pas que simplifier la passerelle des gendarmes ou des policiers aidera, tranche-t-il. [Policier municipal], c’est un métier à apprendre. […] Ce n’est pas parce que vous allez faire venir des gendarmes en masse par le biais de la passerelle, que vous n’allez pas les former, que vous allez réussir a recruter. »
Le délégué départemental du SNPM aimerait même que la durée de formation soit allongée, pour inclure par exemple la formation à l’armement : « Maintenant, toutes les polices municipales commencent à être armées donc il faudrait peut-être la mettre à l’intérieur de la formation initiale. » Grégory Bion dénonce aussi la facilité avec laquelle les policiers municipaux peuvent changer de commune. « Quand vous êtes gendarme ou policier national, la mutation est très compliquée, il y a plus de contraintes. Chez nous, pour muter, c’est trois mois, c’est un très gros problème qu’il faudrait soulever, avance-t-il. Du coup, ça permet à un policier municipal de jouer au mercenaire et d’aller à la police municipale la plus offrante. »