Le mardi 28 février, les principaux syndicats de médecins libéraux ont refusé de signer la convention médicale avec l’Assurance maladie. Cette convention prévoyait une revalorisation de la consultation de 25 euros à 26,5 euros et jusqu’à 30 euros si le médecin acceptait de signer un Contrat d’engagement territorial (CET). Une proposition et un CET unanimement dénoncés et rejetés par les quatre syndicats majoritaires chez les médecins libéraux. Un haut fonctionnaire de l’État va désormais devoir arbitrer et de nouvelles négociations seront ouvertes… dans plusieurs mois.

Pourtant, au-delà de la simple revendication d’une revalorisation de la consultation à 50 euros, les médecins libéraux ont de nombreuses propositions à faire pour venir à bout de déserts médicaux qui grignotent petit à petit tout le territoire français.

Pourquoi les propositions du ministre de la Santé ont été rejetées ?
La revendication du C à 50 euros n’a pas été reprise puisqu’aujourd’hui on propose le C à 26,50 euros. Quand on voit que le C n’a pas évolué depuis 2017, soit 6 ans, rien qu’au titre de l’inflation, le compte n’y est pas. L’augmentation tarifaire annoncée, en particulier celle qui a fait grand bruit de 30 euros, c’est une mesure qui suppose l’engagement dans le Contrat d’engagement territorial (CET) qui est assorti lui aussi de contraintes et cette augmentation ne verrait le jour, si cela arrive un jour, qu’en 2025. Les demandes de la profession sont des demandes immédiates. Nous n’allons pas attendre deux ans pour la mise en œuvre alors que la situation est déjà extrêmement critique.

Justement, ce fameux CET n’était pas une bonne solution ?
Le contrat d’engagement territorial propose que, pour avoir droit aux 30 euros en 2025, il faudra signer ce CET dont une partie des dispositions sont d’augmenter sa patientèle médecin-traitant et de travailler le samedi matin. Ce sont des engagements d’augmentation d’activité… 28 samedis matin par an minimum et augmentation de la patientèle de 20 %… On demande le contraire, on veut travailler mieux, pas travailler plus. Pendant des années, avec un prix fixe et des charges qui augmentent, les médecins ont augmenté le nombre d’actes, mais on ne peut plus augmenter, les revenus ont baissé et cela entraine une baisse d’attractivité : travailler plus pour gagner moins, ce n’est pas une équation qui fonctionne. Or c’est ce qui se passe en médecine libérale depuis des années.

Une des propositions était également de déléguer certains actes ? Cela ne semble pas avoir trouvé d’écho favorable non plus…
On nous répond que l’on va nous décharger de certaines charges au profit de non-médecins. Les pharmaciens et les infirmières vont pouvoir vacciner vos patients, du coup vous allez moins travailler. C’est un leurre. Je n’ai jamais fait de vaccination sèche pour les patients. Nous faisons le point sur leur santé en même temps. Pour ceux qui sont éloignés du soin ou qui ne viennent que rarement, c’était l’occasion d’une consultation gratuite car prise en charge par la Sécu. Ces consultations sentinelles, nous ne les avons plus.

« On va donner la possibilité à des non-médecins de faire des soins et de prescrire mais ce que l’on oublie c’est que nous faisons un diagnostic avant prescription », estime Éric-Alain Junes.

On va donner la possibilité à des non-médecins de faire des soins et de prescrire, mais ce que l’on oublie c’est que nous faisons un diagnostic avant prescription. Sans diagnostic, pas de prescription. Sinon on ne fait plus de la médecine. On veut nous faire croire aujourd’hui que tout le monde peut faire le métier de tout le monde. Ma mère disait : « Chacun son métier, les vaches seront bien gardées. »

Si cela avait été mis en place cela aurait eu quelle conséquence pour vous ?
Pourquoi veut-on faire évoluer le système ? Parce qu’à 25 euros la consultation, il n’est pas possible avec le niveau de charges fixes que nous avons de dégager un revenu décent. La population vieillit, les pathologies sont de plus en plus complexes et nous ne pouvons pas les traiter en seulement 15-20 minutes. Il y a trente ans, les médecins étaient payés à l’acte et ils faisaient 30-40… 80 actes par jour. Beaucoup étaient de petits actes ou des consultations rapides. Le médecin passait du temps avec les autres. Aujourd’hui, tous les petits actes qui permettent de gagner notre vie, on les délègue à des non-médecins. Il ne nous reste plus que les actes lourds qui, eux, ne s’exercent pas rapidement. Le coût de ces actes-là est payé au même tarif que les autres.

Pourtant, le ministre parlait de 7 000 euros en plus par an … ?
Je suis un peu choqué quand j’entends parler de 7 000 euros d’augmentation de revenu et de 13e mois. Il faut savoir que les médecins libéraux n’ont même pas de 12e mois. Je rappelle qu’un médecin libéral ne gagne sa vie que lorsqu’il travaille. Lorsque nous sommes malades, quand on est enceinte ou quand on se casse une jambe, si on n’a pas une assurance de perte de revenus, cela devient vite zéro. D’autant plus qu’il n’y a plus de remplaçants. Cela veut dire un cabinet fermé et pas de revenus. S’il prend un mois de vacances, il n’est pas payé, il n’a pas de revenu de substitution. Parler de 13e mois à des gens qui n’ont pas de 12e mois c’est déjà un peu insultant pour la profession. Lorsqu’on parle de 7 000 euros, c’est une moyenne. Cela représente en moyenne 4 800 actes par an ce qui représente l’activité d’un médecin généraliste. Notre bon ministre oublie juste que 7 000 euros brut, ce n’est pas 7 000 euros nets et au niveau de charges actuel des cabinets médicaux, qui représentent à peu près 60 % de charges avant impôts, cela veut dire que ce n’est plus un 13e mois. Cela ne représente plus grand-chose… J’aimerais déjà avoir le 11e mois.

Dans quel état est la profession aujourd’hui ?
Pourquoi les médecins continuent à exercer un métier difficile, mal rémunéré finalement, c’est uniquement par vocation. Dix ans à étudier un métier, et plus on l’exerce plus on l’aime, et les pouvoirs publics jouent sur cette corde sensible. Sans cette vocation, il n’y aurait plus beaucoup de médecins d’installés. Les médecins sont bienveillants, même pendant la grève on voit les patients. Les médecins meurent en silence et partent faire autre chose.

Quelles seraient les solutions alors pour lutter contre les déserts médicaux ?
Les vraies propositions viennent du terrain. Voilà 20 ans, lorsque l’on s’est rendu compte qu’il y avait un problème de garde à Montigny, les gardes étaient assurées de plus en plus par de jeunes médecins non installés qui y voyaient un moyen de revenu. Les médecins titulaires qui prenaient de l’âge ne pouvaient plus assurer les gardes de nuit car c’est épuisant. Faut être au cabinet le lendemain, etc. Sans compter le repos de 11 h obligatoire. Il fallait trouver un système pour que les médecins installés puissent assurer la permanence de soins et qu’ils puissent le faire en plus de leur cabinet. On s’est mis autour de la table et on a réfléchi. D’abord, que cela soit une véritable permanence de soins avec une régulation en amont. On a mis en place la régulation médicale en partenariat avec le centre 15. Ensuite, on s’est dit qu’il valait mieux que les patients viennent à nous, – car le plus souvent la visite à domicile ne se justifie pas –, dans un local sécurisé qui ne soit pas à la charge des médecins, car le niveau de revenu des gardes ne permettait pas d’assumer en plus le loyer et la sécurisation du local. On est allés voir le maire de Montigny de l’époque, Nicolas About, qui a parfaitement compris l’intérêt pour la population et on est allés voir la Sécu pour leur expliquer ce que l’on avait inventé. Donc, à Montigny-le-Bretonneux, on a inventé le concept de maison médicale de garde (MMG). Il a été décliné dans un certain nombre de régions.

Petit à petit, la garde n’a plus été obligatoire. Elle est passée sous le volontariat. Les médecins se sont donc désengagés. Il aurait fallu inciter à ce moment-là à la création de MMG partout sur le territoire. Au départ, cette MMG était uniquement faite pour Montigny, Voisins et Guyancourt (5 000 habitants à l’époque), pilotée par l’AM3V. Les trois villages sont devenus trois villes passant de 5 000 habitants à 75 000 habitants. Très vite, on nous a demandé d’intégrer les 7 communes, puis les communes limitrophes de la ville nouvelle. La charge de patients a augmenté de façon exponentielle. C’était cohérent tant que les médecins assuraient leurs consultations de manière régulière. Mais petit à petit les délais pour consulter ont augmenté et la MMG ne fait plus de permanence de soins, mais de la consultation de nuit et de week-end. Aujourd’hui, les gens viennent de tout le département. Je vois parfois plus de 30 patients en 5 h le samedi après-midi. Que je ne connais pas, avec des populations de tout-petits. La salle d’attente est pleine dès 14 h. La pression est forte de la part des patients et du système. Les collègues ne veulent plus faire des gardes car cela devient des consultations. La permanence de soins est aggravée par le manque de consultations et donc le manque de médecins sur le terrain. Parce que le métier n’est pas attractif, parce que depuis des années on demande à ce que le statut social et fiscal des médecins soit revu, ce qui n’a jamais été entendu.

Pour vous, l’idée est donc de rendre la profession de nouveau attractive ?
En conclusion, oui, pour lutter contre les déserts médicaux, il faut rendre la profession attractive. Or, là où nous parlons attractivité, on nous répond coercition. Ce sont deux mondes qui s’opposent. Quand on voit les négociations conventionnelles, on propose des dispositions qui donneraient envie et en face on met des dispositions contraignantes. Avec cela, les gens s’en vont. Ceux qui sont en place n’ont pas envie de rester et les autres ne viennent pas. Lorsque nos jeunes collègues viennent travailler au cabinet après 10 d’études, ils trouvent ça génial, mais lorsqu’ils voient les contraintes, ils se disent que l’hôpital, ce n’est pas si mal, que les revenus sont constants, et que c’est plus simple de faire de la médecine salariée que de la médecine libérale.

* La Région Île-de-France étant le 1er désert médical de France.

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