Les femmes seules avec enfants sont nombreuses à venir récupérer, le 1er décembre, leurs repas pour la semaine au Resto du cœur de Plaisir, rue Paul Langevin. La plupart sont sans papiers et viennent des hôtels sociaux, comme le F1 aux Gâtines, le Première classe dans la Zac de Sainte-Apolline et l’Arpège à Jouars-Pontchartrain. Ce matin-là, en plus de leurs repas hebdomadaires, elles ont le droit à un complément de farine, de lessive et de produits pour le lave-vaisselle. Mais ce dernier ne leur est d’aucune utilité. Elles logent à l’hôtel social.

« On a beaucoup de demandeurs d’asile, plus qu’avant. Ce sont des jeunes la plupart du temps », observe Patricia Durritxague, responsable du Resto du cœur de Plaisir. Elle note également une augmentation du nombre de familles nombreuses et des travailleurs, qui n’arrivent pas à finir le mois. Au début de la campagne hivernale, déjà 206 familles sont inscrites au Resto du cœur de Plaisir et l’association distribue 2 600 repas par semaine. « Avant c’était moins. C’est ce qu’on faisait en fin de campagne d’hiver », constate-t-elle.

En effet, la crise sanitaire a fait rentrer plus de personnes dans la précarité. « On voit de nouveaux types de personnes, qui avant arrivaient à s’en sortir et là, ce n’est plus le cas, confirme François Paget, directeur départemental du Secours catholique dans les Yvelines. Dans nos accueils, on voit de nouvelles personnes, qui ont un travail, mais qui ont une perte de revenu, car ils sont au chômage partiel. » À cette situation, s’ajoutent les sans-papiers, qui sont de plus en plus nombreux à faire appel aux associations caritatives.

Selon le bilan de l’année 2019 du Secours catholique dans les Yvelines, avant la crise sanitaire, déjà 69 % des ménages rencontrés étaient de nationalité étrangère et sans papiers pour la plupart. « Ils sont dans une situation plus difficile qu’il y a cinq ans. Le nombre de sans-papiers a beaucoup augmenté dans nos accueils », atteste le directeur départemental.

Mais pourquoi sont-ils plus nombreux ? L’État répondrait plus vite sur les dossiers en cours, affirme François Paget. « Avant, en 2014, plus de 50 % des étrangers qu’on accueillait, étaient en attente de statut. En 2019, ils sont 32 % », illustre-t-il. Et ils sont plus nombreux à devoir quitter le territoire. Selon le directeur du département du Secours catholique, en 2014, 12 % des personnes en attente de statut étaient déboutées dans les Yvelines. Ils sont 29 % en 2019.

Pourtant, la plupart décideraient de rester. Alors leur situation se dégrade. Sans papiers, ils ne peuvent pas travailler et avoir un logement stable, ce qui les entraîne de fait dans une situation précaire. « C’est difficile, car cette population ne peut pas s’insérer. Elle est empêchée par l’inaccessibilité du marché, explique François Paget. […] Et par l’empêchement de l’accès au statut, on les précarise en les plaçant dans des hébergements temporaires. » En 2020, la situation se serait aggravée, selon le directeur du département du Secours catholique : « On s’attend à voir de nouvelles familles. »

C’est déjà le cas au Resto du cœur. « Leur nombre s’est accru avec la crise sanitaire. On l’a déjà vu cet été », observe Patricia Durritxague. Ce matin-là justement, un père de famille, sa femme enceinte et leur fils de 4 ans viennent chercher leurs repas pour la semaine. Cela fait un mois qu’ils viennent. D’origine africaine, ils vivent tous les trois à l’hôtel F1 de Plaisir depuis environ deux mois. Ils viennent d’arriver en France, après avoir passé plusieurs années en Suède. La mère de famille doit accoucher dans quelques jours. « Il faudra bien qu’ils nous disent quand le bébé sera né, pour qu’on leur donne la dotation nouveau-né », lance Patricia Durritxague à la famille, qui ne parle pas français.

De toute la matinée, ce sera la seule famille nucléaire qu’on verra au Resto du cœur de Plaisir. Toutes les autres sont des femmes seules avec enfants ou des personnes isolées. On retrouve la même tendance du côté du Secours catholique. En 2019, dans les Yvelines, l’association accueillait 3 000 femmes seules avec enfants. « C’est énorme », relève François Paget. Cela représente 25 % des familles accueillies par l’association. Selon lui, cette situation résulterait du changement de la politique familiale en France, qui serait moins redistributive.

Dans la file d’attente pour récupérer ses repas de la semaine, Franck se retrouve dans cette situation. Il a perdu son emploi au premier confinement et vient au Resto du cœur de Plaisir depuis deux mois.

Les travailleurs rentrent aussi de plus en plus dans la précarité, notamment en raison du Covid-19 et de la crise sanitaire. À force d’être au chômage partiel, il est difficile pour eux de finir les mois. Sachant que déjà, « en 2019, 20 % des personnes qu’on recevait avaient un emploi », précise le directeur départemental du Secours catholique. Et pour la moitié, ce sont des emplois précaires. Le Resto du cœur de Plaisir fait le même constat. « On commence à avoir des gens qui travaillent. Il y en a beaucoup qui n’arrivent pas à boucler les fins de mois », confirme la responsable.

Dans la file d’attente pour récupérer ses repas de la semaine, Franck se retrouve dans cette situation. Il a perdu son emploi au premier confinement et vient au Resto du cœur de Plaisir depuis deux mois. Autrefois saisonnier dans la sécurité d’événements ou de soirées, tout s’est brutalement arrêté pour lui. « J’avais au départ un travail et je me suis retrouvé sans rien, raconte-t-il. J’ai pas le choix, c’est très difficile. »

Pour subvenir à tous ces besoins, les collectes et ramassages sont plus que les bienvenus. Par exemple, « le 11 décembre, on a une collecte dans un collège », illustre Patricia Durritxague. Autrement, les bénévoles du Resto du cœur de Plaisir comptent sur leur ramassage au magasin Auchan de Plaisir, à Carrefour market et à la Marnière pour les produits frais. Ils bénéficient également de l’aide de la dotation nationale, qui donne plus pendant la campagne d’hiver.

Pourtant, ce matin-là, il n’y avait pas de lait troisième âge et cela durerait depuis un moment. « On est en rupture de stock. On ne peut pas en avoir. Ça vient de l’entrepôt national », tente d’expliquer la responsable, qui ne sait pas ce qu’il se passe. Une mère de famille avec un enfant en bas âge va d’ailleurs s’insurger de cette pénurie.

Face à la forte demande, le Secours catholique voit en revanche son budget exploser. « Va-t-on réussir à tenir ? », s’interroge François Paget. Le 15 novembre, l’association caritative avait déjà dépensé 205 % de son budget d’aide à Guyancourt, selon lui. « Je suis inquiet sur le fait qu’il y a plus de besoins. On risque de dépasser notre budget national. » Mais pour le moment, ce dernier a été dépensé à 75 % dans le département.

Comparée au premier confinement, la situation semble plus stable pour ces deux associations. Presque l’intégralité de leurs activités a été maintenue. Au premier confinement, le Resto du cœur de Plaisir vivait sur son stock, car les entrepôts étaient fermés. Aujourd’hui, ils fonctionnent normalement tout en respectant les distanciations physiques. Seuls les cours de français et la salle informatique sont à l’arrêt.

Le Secours catholique fonctionne également presque normalement. La majorité des équipes ont conservé leurs activités, sauf pour l’équipe de Voisins-le-Bretonneux, qui a mis en place une chaîne téléphonique. Autrement, l’accompagnement scolaire, ou encore l’apprentissage du français ont été maintenus. Ce qui n’était pas le cas lors du premier confinement, les ateliers d’accompagnement, et les distributions alimentaires étaient entièrement à l’arrêt. À la place, des chèques alimentaires ont été donnés.