Au cœur du village de Trappes, un lieu insolite, chargé d’histoire. Si les murs de cette maison séculaire pouvaient parler, ils auraient sans doute beaucoup à dire. Comme leur propriétaire, Marc Giai-Miniet. C’est là qu’il a reçu La Gazette, début juillet dans son atelier de toujours, installé dans cette propriété où il est né, en 1946. « Mon grand-père, qui a acheté cette maison, l’a donnée à ses deux enfants, et mon père a racheté la part de ma tante. Mon père n’est pas né dans cette maison. Il est né en 1918, donc mon grand-père n’avait pas dû encore l’acheter. Il avait dû l’acheter dans les années 1920. Ça fait un siècle qu’on y est », raconte l’artiste âgé de 76 ans, fils d’ouvrier issu de l’immigration italienne et slovaque.
Peintre, graveur, « emboîteur », Marc Giai-Miniet possède plusieurs spécialités. Mais surtout une passion pour l’art qui remonte à ses 11 ans. « C’est un prof qui avait monté une exposition de reproductions de Rembrandt, en couleur. C’était assez bien fait. Il était d’origine hollandaise, et il parlait assez passionnément de ce peintre. Il nous faisait dessiner beaucoup, donc c’est par lui, on peut dire, que j’ai eu une vocation », se souvient-il. Ajoutant qu’il n’était « pas du tout destiné à devenir peintre, je ne savais pas ce que c’était ».
Marc Giai-Miniet a fait ses premiers pas dans l’art dans une petite école de dessin à Paris, avant d’entrer aux Beaux-Arts de Caen puis de Paris. « Je suis rentré directement dans les ateliers. Quand on y arrive, on possède déjà son métier, explique-t-il. Après, c’est une question de trouver ce qu’on est soi-même, ce qu’on appelle le style, un style d’écriture, et surtout, essayer de comprendre ce qu’on essaie de faire, car c’est long de se trouver soi-même. C’est pour ça que les peintres ont beaucoup de tâtonnements. »
Et cela s’est ressenti chez Marc Giai-Miniet, même des décennies plus tard, il y a un peu moins de 30 ans, lorsqu’il a commencé à créer ses boîtes. « Dans la peinture, il me manquait ce discours-là, sur la lumière, sur l’ombre, sur la littérature », explique-
t-il. Même si c’est aussi un grave problème de santé qui l’a conduit à se tourner vers ce type de création. « En 1995, j’ai eu un infarctus, j’ai été opéré, et ça m’a fatigué. Je ne pouvais plus tellement peindre, agiter les bras, monter sur l’escabeau… Je me suis mis à faire des petites boîtes, me rappelant que j’ai failli faire décorateur de théâtre. J’aime le théâtre, ces recompositions de l’hiver, ces espaces clos où tout le drame humain se passe, confie l’artiste. Ça m’a beaucoup inspiré, et les boîtes sont devenues de plus en plus grandes. »
Ces boîtes ressembleraient presque à première vue à des maisons de poupées, mais il ne s’agit pas d’un jouet mais bien d’une œuvre d’art. On y retrouve plusieurs niveaux représentés avec souvent, dans les étages supérieurs, des bibliothèques, puis des échelles descendant vers les niveaux inférieurs, où les éléments sont beaucoup plus sombres. « Le livre, ça représente à la fois la mémoire des hommes et la littérature, l’intelligence, la spiritualité, et la lumière, détaille Marc Giai-Miniet. Le bas des boîtes, ce sont les égouts. D’ailleurs, c’est un peu à l’image de l’homme, imaginons le cerveau de l’homme [en haut], et les égouts en bas, comme l’intestin, du cerveau à la sortie. […] Plus on va dans le ventre de la Terre, plus c’est obscur. Et on sait très bien que le ventre de la Terre, c’est notre propre intérieur. »
Parmi les éléments évoqués à travers ces boîtes, les bibliothèques en danger, l’immigration, ou encore la coercition. Au total, Marc Giai-Miniet stocke une cinquantaine de boîtes dans son atelier trappiste. Avec très souvent la volonté de faire passer ce message : « Le monde est inquiétant, et les hommes sont surtout inquiétants. » Ce qui se retrouve aussi dans ses autres œuvres, car outre les boîtes, l’artiste a réalisé quelque 500 peintures, dont des aquarelles, créations qui l’occupent désormais majoritairement.
Très attaché à la place de la peinture à SQY et aux alentours, Marc Giai-Miniet avait fondé en 1973 l’association Regard parole, estimant encore à l’heure actuelle qu’il n’y a « pas d’espace pour la peinture » sur ce territoire. L’association compte aujourd’hui 28 artistes, et exposera à Houdan à la rentrée. Marc Giai-Miniet avait aussi fait don de deux toiles à l’agglomération de SQY il y a plusieurs années. Il projette de donner également des œuvres à la ville de Trappes. Père de deux filles, il espère aussi que ses enfants feront perdurer l’atelier-maison familiale. « Elles y sont attachées, mais la maison, est-ce qu’elle est gardable ? Qu’est-ce qu’on en fait de ces choses ? Ce serait dommage que ça finisse à la benne. C’est pour ça que je n’hésite pas à donner à la ville de Trappes. »