« La moitié des personnes que je vois n’ont pas d’adresses mails. Comment peuvent-elles faire une démarche auprès de Pôle emploi ou de la CPAM », déplore Guy Tavenard, délégué du Défenseur des droits à Trappes, lors d’une conférence de presse à la préfecture des Yvelines, mardi 2 avril. Celle-ci réunissait quatre délégués du département, pour faire le bilan de leurs activités en 2018 auprès des Yvelinois.
Dans cette déclaration, le délégué fait référence au dernier rapport rendu par le Défenseur des droits en janvier 2019, mettant en garde l’État face à la dématérialisation des échanges entre les administrés et le service public. À défaut de rencontrer une personne physique, « ils doivent maintenant échanger avec des boîtes vocales, des mails et des courriers types, qu’ils ne comprennent pas. Cette évolution numérique entraîne une destruction du lien social », renchérit Guy Tavenard. Et c’est problématique pour les « 20 % de la population française » qui n’ont pas accès à internet, ajoutent les délégués du Défenseur des droits.
Créée en 2011, cette autorité constitutionnelle indépendante est représentée par 11 délégués dans les Yvelines, qui sont répartis dans 14 lieux de permanence sur l’ensemble du département. Ils sont deux à SQY : un à Guyancourt et l’autre à Trappes. Leur mission consiste à informer et orienter les réclamants, qui s’estiment lésés par le fonctionnement du service public, être victime ou témoin d’une discrimination, ou d’un comportement abusif d’une personne exerçant dans la sécurité, ou encore qui considèrent un non respect du droit de l’enfant.
Et suivant les réclamations, les délégués peuvent procéder à des règlements amiables ou transférer les dossiers au siège du Défenseur des droits. « Nous sommes des bénévoles qui apportons un service gratuit équivalent à celui d’un avocat, ainsi qu’une plus-value juridique neutre », simplifie Joël Hones, récemment devenu animateur des délégués des Yvelines et Hauts-de-Seine.
Mais depuis l’arrivée du numérique, le rôle de ces délégués a évolué. « À cause de cette distanciation entre administré et administrateur, nous retissons du lien social », affirme le bénévole de Trappes. Pourtant, les problèmes liés aux relations avec l’administration ne sont pas nouveaux.
« Historiquement, les principaux sujets traités par les délégués ont toujours été les relations avec les services publics », raconte le délégué de Trappes. C’est le cas pour 95 % des 1 767 saisines reçues en 2018 par les délégués des Yvelines. Et la dématérialisation aggrave cette situation. Par exemple, les affaires liées aux nouvelles procédures d’obtention des permis de conduire et des certificats d’immatriculation, représentent « 45 % » des réclamations relatives aux services publics, selon les chiffres présentés par Jöel Hones.
Autre exemple, à Trappes, les habitants sollicitant les délégués sont également victimes de l’arrivée du numérique. « Ce travail de tisseur de lien social est essentiel dans cette commune, qui concentre notamment une population d’immigration de la première génération, qui rencontre des obstacles liés à la langue française. Ils ne comprennent pas les courriers », constate le délégué de Trappes.
Pour illustrer cette détresse administrative, le dossier de monsieur C. est significatif. Cela fait un an qu’il n’a pas touché sa retraite. D’origine malienne, Monsieur C. vit à Guyancourt et a fait carrière dans le bâtiment. « Il a déposé son dossier en mars 2018 et est venu me voir en décembre 2018 pour me dire qu’il n’avait toujours rien perçu et que ses économies ne pouvaient plus lui permettre de vivre », raconte Guy Tavenard.
Ce dernier a alors envoyé un mail à la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav). Les délégués possèdent un réseau de personnes privilégiées, qu’ils peuvent contacter via une ligne téléphonique directe. Pourtant en février 2019, la situation n’a pas évolué. Ils ont finalement repris le dossier ensemble et « j’ai découvert que monsieur C. s’était trompé de jour en inscrivant la date de son départ à la retraite. Ce simple détail avait bloqué son dossier et il s’était retrouvé face à des techniciens de la Cnav qui ne prenaient pas le temps de l’étudier et lui envoyait des réponses passe-partout », conclut-il. Depuis le 26 mars, le dossier de monsieur C a été débloqué, il lui reste encore à percevoir sa retraite.