Dans la salle des grands procès de la cour d’assises spéciale de Paris, le président de la cour attend Imran (le prénom est modifié). L’ancien élève du collège du Bois d’Aulne de Conflans-Sainte-Honorine est en retard. Celui-ci s’est rendu au tribunal, un lieu qu’il connaît bien puisque le Conflanais y a été condamné il y a un peu moins d’un an pour « association de malfaiteurs en vue de préparer des violences aggravées ». Ce 18 novembre, le jeune homme aux cheveux bouclés mi-long tombant sur ses épaules est présent en tant que témoin assisté, pour qu’il puisse raconter sa journée du 16 octobre.

Depuis le début de l’après-midi, Abdoullakh Anzorov attend aux abords de l’établissement scolaire. Tel le chasseur, il patiente et guette sa proie. Sauf que le Tchétchène ne sait pas à quoi ressemble Samuel Paty. Et encore, il faut le deviner sous son sweat à capuche car depuis les parutions des vidéos de Brahim Chnina et Abdelhakim Sefrioui (respectivement le père de l’élève ayant menti à propos des cours de Samuel Paty et un militant islamiste ayant appelé à la haine contre le professeur), le professeur d’histoire-géographie se dissimule. Alors pour être sûr, le radicalisé va à la rencontre de ceux qui savent : les collégiens.

« J’ai fini l’école, un monsieur (Anzorov, Ndlr) est venu me voir, se remémore Imran. Il m’a proposé de l’argent en échange de lui montrer le prof et j’ai accepté sans réfléchir ». À l’instar d’Azim Epsirkhanov et Naïm Boudaoud, il ne veut pas être pris pour islamiste. Les 350 euros sont la véritable source de motivation – l’ancien collégien se pavanera d’ailleurs avec la liasse de billet de 10 euros – et lui, comme son compère Ibrahim quelques minutes plus tard, n’imaginaient pas « qu’il se passerait ce drame-là ». Aucun des deux n’osent parler de décapitation, de meurtre ou d’assassinat. Ils éludent, ils périphrasent, ces mots leur brûlant trop les lèvres. Le désormais majeur va même plus loin dans sa justification. « Une caricature, c’est juste un dessin pour moi », lâche-t-il alors que des larmes commencent à couler le long de son visage.

Franck Zientara, le président de la cour, lui demande : « Il vous explique pourquoi il le cherche ? ». Imran acquiesce. « Mais vous pensiez que ça allait mal finir ? », reprend alors le magistrat. Toujours le même hochement de tête, même si le jeune reconnaît « qu’au pire », Anzorov allait passer à tabac « Monsieur Paty ». Toutefois, avant de passer à l’acte, le Tchétchène veut s’assurer que tout est vrai. Il demande à l’ancien élève du Bois d’Aulne d’appeler la fille de Brahim Chnina. Celui-ci s’exécute et la met sur haut-parleur. Et alors qu’elle dispose d’une dernière chance pour peut-être inverser le cours de l’histoire, la jeune fille persiste dans son mensonge : « Il a dit les musulmans levez la main. » Il n’en fallait pas plus pour le terroriste… « Je regrette, je ne vais pas vous mentir, j’ai fait une erreur » avoue Imran, qui présente ensuite ses excuses.

Il aura fallu un mois pour que les enseignants sachent que ces élèves étaient impliqués dans le meurtre de leur collègue, avec des conséquences pour certains membres de l’équipe éducative. Si beaucoup ont réussi à passer outre et continuent d’exercer, David, ancien professeur d’histoire-géographie, n’y arrive plus. « L’école est un pacte de confiance entre nous et les élèves », avait-il expliqué il y a deux semaines au tribunal. Lui qui misait sur « l’intelligence des collégiens », il ne comprend toujours pas comment ils ont pu se faire berner.

« Comment réagir, si pour la commémoration des un an, un élève dit bien fait ? » se demandait l’ex-prof à la barre. Avec ce lien coupé, il s’est réorienté et fait dorénavant du marketing digital. « C’est mieux pour tout le monde… »

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