Quand l’officier de la sous-direction anti-terroriste (SDAT) retrace la vie d’Abdoullakh Anzorov, il ne fait aucun doute sur sa fin prématurée. Né en 2002 à Moscou, le futur terroriste est trimballé entre la Tchétchénie, la France, la Pologne, la Russie pour finir à nouveau dans l’Hexagone en 2012 avec le statut de réfugié. Sa famille s’installe alors à Évreux, dans un immeuble HLM du quartier populaire de la Madeleine faisant partie d’un « PSR » (Programmes sociaux de relogement. Mais les gens du coin préfèrent le nommer « prison sans retour ».

Abouyezid, son père, le berce en lui racontant sa vie de terroriste islamiste et son combat dans le Caucase. Figure d’autorité et garant des préceptes de l’éducation malgré ses absences dues à son travail de gardien de nuit, il rappelle chaque jour à ses six garçons qu’ils sont « musulmans et tchétchènes ». Le paternel hésite même à les envoyer à l’école publique car « l’éducation occidentale est en perdition ».

Tout petit, Abdoullakh commence déjà à être défiant envers ses camarades masculins et froid envers ceux féminins. Même les professeurs le craignent. En 6e, l’un d’eux aperçoit durant une sortie qu’il griffonne un « Allah Akhbar » entouré de couteaux sur un calepin. La violence devient son mantra et Anzorov veut être perçu comme « le Tchétchène qui ne se laisse pas faire ». Par deux fois, il se fait virer des lycées d’Evreux, les deux pour cause de bagarre. La SDAT explicite la première. Bousculé dans l’enceinte de l’établissement scolaire par un lycéen, l’assassin de Samuel Paty l’avait poursuivi jusqu’au jardin public pour ensuite le rouer de coups. L’adolescent se verra prescrire l’équivalent de trois jours d’ITT.

Son déchaînement de violence est tel qu’il ne s’arrête pas aux êtres humains. En mars 2020, un témoin rapporte que la fratrie Anzorov joue au foot avec une tête de chat mort un soir. Un fait à ranger parmi les nids d’oiseau shootés avec des cailloux, les hérissons écrasés… C’est d’ailleurs à cette période que le jeune homme embrasse les thèses islamistes. Que ce soit sur Snapchat, Instagram ou Telegram, Abdoullakh sermonne les filles – qu’il qualifie de femme-femelle – sur leur manière de s’habiller. Et ce ne sont pas les seules victimes de sa haine : juifs, chiites et les « mécréants de toute part » en font également partie. En revanche, il encense les figures du terrorisme islamiste comme Oussama Ben Laden, « un homme de bien ».

Le Tchétchène n’a plus qu’une idée en tête, faire le djihad. Pour cela, il doit devenir un combattant. Il s’inscrit donc dans le club de boxe local puis fréquente le gymnase Joliot-Curie pour pratiquer le MMA, mais là encore Anzorov se fait virer car il ne respectait pas les coachs. Il se rabat alors sur le Basic Fit d’Évreux, qu’il fréquente assidument. En avril 2020, le radicalisé cherche réellement à partir. En fouillant ses réseaux sociaux, la SDAT tombe sur des messages à l’intention d’un chef de guerre se trouvant dans le Caucase nord. « J’ai envie d’aller en Afghanistan mais mes parents m’en empêchent » se plaint le futur tueur.

Alors que s’ouvre les procès des attentats de Charlie Hebdo, sa soif de sang doit être épanchée. Abdoullakh ne se cache même plus. Alors qu’il assiste à l’enterrement d’Akhmad Evloev, un jeune homme d’origine Ingouche (territoire voisin de la Tchétchénie) assassiné, il balance qu’il coupera la tête du coupable. Anzorov cherche sa cible et tombe sur le message Facebook de Brahim Chnina, , le père de l’élève ayant menti au sujet des cours de Samuel Paty. « 78700, Conflans, Monsieur Paty, prof d’histoire-géo, Ce prof se vante d’avoir marché pour Charlie, Vous avez l’adresse et le nom pour dire « STOP ». C’est bon, il peut maintenant s’organiser.

Le 15 octobre, avec Azim Epsirkhanov et Naïm Boudaoud, il part acheter un couteau morakniv à Rouen. Pour se justifier, il dira que « c’est un cadeau pour son grand-père ». Le lendemain le Tchétchène retrouve à nouveau Epsirkhanov dans le chef-lieu de la Normandie. Finalement, son comparse ne veut pas le suivre en région parisienne et retourne sur Évreux. Avant que celui-ci ne monte dans le bus, Anzorov l’enlace, ce qui surprend Epsirkhanov. C’est donc Boudaoud qui va l’amener à Conflans-Sainte-Honorine après un détour par Osny afin d’acheter deux armes à plomb. À 13 h 26 ils arrivent au Bois d’Aulne, le terroriste donne un des pistolets à son ami, « un cadeau avant qu’il ne meure ». Aux alentours de 17 h 20, quelques minutes après avoir sauvagement décapité Samuel Paty, Abdoullakh Anzorov est abattu par la police.

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