« C’est un cancer », lâche Lionel Carré, technicien forestier territorial au sein de l’Office national des forêts (ONF), travaillant sur la forêt de Bois d’Arcy qui couvre les Clayes-sous-Bois, Villepreux ou encore Montigny-le-Bretonneux. Celui-ci fait référence à la maladie de l’encre, un Phytophthora vivant dans le sol qui s’alimente sur les racines des arbres, surtout les châtaigniers, provoquant ainsi leur mort. Cet hiver, l’ONF, qui est un établissement public, va donc devoir faire une coupe rase sanitaire sur une parcelle d’un hectare et demi dans la forêt domaniale de Bois-d’Arcy aux Clayes-sous-Bois.

« Ces jeunes arbres n’ont pas d’avenir »

Cette opération consiste à couper tous les arbres de la parcelle pour tenter de ralentir la maladie, pour laquelle à ce jour aucun traitement naturel n’existe. « La seule solution, c’est d’enlever le châtaignier. […] Car mettre un produit phytocide, ça déséquilibre le système. La coupe rase malheureusement est la seule solution », estime Marianne de Brito, responsable d’unité territoriale à l’ONF des Hauts-de-Seine et de Versailles.

Mais cette parcelle, prévue pour être coupée à blanc, a la particularité d’être peuplée par de nombreux jeunes châtaigniers. « Ces jeunes arbres n’ont pas d’avenir », affirme Lionel Carré. En effet, ces derniers sont issus d’une coupe rase réalisée il y a 10 ans déjà à cause de la maladie de l’encre. Ils avaient alors replanté des châtaigniers, en plus de la régénération naturelle, en espérant que la nouvelle génération résiste plus à la maladie. Mais « ça ne marche pas », raconte Lionel Carré.

D’où leur volonté de recouper cette zone à blanc, en plus d’une autre atteinte, mais en replantant derrière des essences différentes, en espérant qu’elles résistent plus à cette maladie qui touche, pour le moment, surtout les châtaigniers.

Cette maladie n’est en effet pas une nouveauté. Elle est latente dans le sol depuis des siècles, selon Lionel Carré. « Elle avait peu d’impact, mais, depuis quelques années, les forêts connaissent beaucoup de précipitations et il y a beaucoup d’eau dans les sols et [le micro-organisme filamenteux] peut se déplacer facilement », explique le technicien forestier. Ainsi, l’encre a commencé à être problématique dans la forêt de Bois-d’Arcy entre 2015 et 2016, selon les observations de Lionel Carré et Marianne de Brito.

Ce qui concorde avec les fortes précipitations qui ont eu lieu à la même période pendant le printemps. « Les sols étaient saturés en eau et favorables à la dispersion de ce Phytophthora », expose le technicien forestier. Sachant que le châtaignier est « un être vivant sensible » qui supporte mal « d’avoir les pieds dans l’eau » et les périodes de sécheresse. « Et depuis six, sept ans, les printemps sont pluvieux, observe Lionel Carré. Résultat, le châtaignier se retrouve dans des conditions défavorables depuis plusieurs années, ce qui le rend sensible aux maladies. »

Une conséquence du réchauffement climatique

Alors que le phytophthora lui se trouve dans des conditions favorables. Il va alors nécroser les racines de l’arbre qui ne peut plus s’alimenter en eau et donc se dessèche. Face à la parcelle, condamnée à être coupée, on peut en effet observer des arbres sans feuille avec leur cime déjà blanche. « Ils sont blancs, car l’écorce s’est décollée » pointe du doigt le technicien forestier de l’ONF. Selon lui, cette maladie est clairement une conséquence du réchauffement climatique.

La forêt doit être replantée et régénérée tous les ans, soit 5 ha par an. Sur deux ans, la forêt de Bois-d’Arcy devrait être replantée sur 11,32 ha, selon Lionel Carré, technicien forestier territorial au sein de l’ONF.

Alors « comment adapter les essences aujourd’hui ? Car il faut se projeter sur 100 ans (la durée de vie en moyenne d’un arbre, Ndlr). […] L’évolution du réchauffement climatique va plus vite que l’évolution des espèces, donc il faut y réfléchir maintenant », alerte Marianne de Brito. C’est pourquoi des essais sont déjà à l’œuvre après les coupes rases sanitaires. C’est notamment le cas aux Clayes-sous-Bois où à la suite de la coupe un mélange d’essence entre le chêne, l’alisier torminal, le pommier et le poirier devrait être planté entre novembre 2022 et février 2023.

Ce choix s’est porté sur ces essences, car elles sont plastiques, en d’autres termes, elles ont une faculté d’adaptation. « On plante du chêne sessile, car on le connaît bien. Il est plastique dans son comportement. On est sûrs avec le chêne », illustre la responsable de l’unité territoriale. Même si le chêne est aussi atteint par la maladie de l’encre, mais à un niveau bien en dessous de celui du châtaignier. « On fait un pari sur l’avenir », avoue Lionel Carré.

D’autant plus que ce bois coupé doit ensuite être vendu et s’il est dépérissant, il ne sera pas vendu très cher. « Mon rôle est de récolter du bois avant qu’il soit mort et, en même temps, je dois assurer la gestion durable de la forêt », rappelle le technicien forestier. Et justement, ces coupes rases destinées à la vente ne font pas l’unanimité.

Un collectif de 28 associations en Île-de-France, dont l’Association de sauvegarde des étangs de la Minière (Asem) à SQY fait partie, a demandé un moratoire sur la gestion forestière en Île-de-France par l’ONF. Il reproche notamment à l’office de couper trop d’arbres pour le développement de la filière bois, ce qui nuirait à « l’équilibre entre le taux de coupe et le taux de la production naturelle de la forêt », expose François Apicella, le président de l’Asem.

Selon lui, l’ONF est autorisé à augmenter ses coupes de 30 % par an depuis la signature du programme régional de la forêt et du bois d’Île-de-France (2019-2029). Ce programme annonce plus exactement que 62 % de l’accroissement naturel de la forêt francilienne est prélevé par an. « Ils seraient en train de dépasser l’équilibre naturel », poursuit le président de l’association.

Ce que conteste d’un point de vue local la responsable de l’unité territoriale des Hauts-de-Seine et de Versailles. « Le volume d’arbres marqué et demandé est à la baisse au niveau de la forêt de Versailles et de Bois-d’Arcy », assure Marianne de Brito qui rappelle qu’au niveau des Yvelines, ils ne coupent pas plus. D’autant plus que la forêt doit être replantée et régénérée tous les ans, soit 5 ha par an. Sur deux ans, la forêt de Bois-d’Arcy devrait être replantée sur 11,32 ha, selon les chiffres de Lionel Carré. Finalement, le seul véritable danger pour l’équilibre de la forêt serait la maladie de l’encre, constate tristement Marianne de Brito.