Les cas d’addiction ont augmenté depuis le premier confinement

Rechutes ou nouveaux patients… Le premier confinement a augmenté le nombre de personnes dépendantes à l’alcool, au tabac, à la drogue, aux écrans ou encore aux jeux en ligne.

Le constat est indéniable. Les différents confinements ont provoqué un retour des addictions à Saint-Quentin-en-Yvelines (SQY). L’association Vie libre a même dû fermer sa section yvelinoise. Basé à SQY, ce groupe de parole, qui accompagnait les anciens consommateurs dépendants aux psychotropes notamment, n’existe plus au sein de l’agglomération depuis janvier 2021. La cause est que les organisateurs bénévoles du groupe – qui sont également d’anciens dépendants malades – ont presque tous rechuté. « On n’est plus que trois dans la section. Avant, on était 22, raconte Guy Pernès, délégué national du mouvement Vie libre et ancien patient devenu expert en addiction. C’est un des indices de l’augmentation de la consommation et des rechutes. »

Le centre extra-hospitalier adultes, La Pommeraie à l’hôpital de Plaisir a observé la même chose au sein de son service en addictologie pendant le premier confinement. « On a perdu de vue une grande partie de ceux qui ont rechuté, ceux qui n’allaient pas bien », explique le docteur Christine Camus Cartraud, addictologue et ancienne pneumologue. « Quand ils rechutent, ils ont honte et ne reviennent pas », justifie Guy Pernès.

À Saint-Quentin-en-Yvelines, les professionnels de santé ont donc noté une hausse des cas d’addictions, depuis la fin du premier confinement. Qu’il s’agisse d’une dépendance à l’alcool, au tabac, au cannabis, aux écrans – surtout chez les enfants et les adolescents – et aux jeux en ligne, tout le monde est concerné.

En effet, au déconfinement en mai 2020, les consultations et les hospitalisations ont soudainement augmenté. « Les patients qui avaient interrompu leur prise en charge sont revenus en grand partie […] et des nouveaux patients sont arrivés », explique le docteur Imad Alzib, psychiatre et addictologue à La Pommeraie.

Les nouveaux malades vus à la consultation du service d’addictologie – ceux qui n’avaient pas de problème d’addiction et que le confinement a précipité vers une consommation problématique, voire pathologique – représentent désormais un tiers des personnes suivies. « Ce qui est beaucoup », observe le docteur Imad Alzib.

Les rechutes sont elles aussi importantes. Le docteur Barry, addictologue et psychiatre à la clinique d’Yveline à Vieille-Église-en-Yvelines – qui reçoit régulièrement des patients de Trappes, Élancourt, Montigny, Plaisir et des Clayes-sous-Bois – a noté que deux tiers des patients qu’il suivait, ont repris une consommation excessive de l’alcool. « C’est spectaculaire ! C’est vraiment un problème. Parfois ce sont des abstinents depuis plusieurs années », regrette-t-il. Alors, quelles sont les causes de ce basculement vers l’addiction ?

« Parfois, ce sont des abstinents depuis plusieurs années »

Plusieurs professionnels auront les mêmes arguments. « Isolement social », « incertitude liée au contexte global », « stress », « angoisse », « dépression », « peur de contracter la maladie », sont des états d’âme qui résultent de l’impact qu’ont eu la crise sanitaire et les différents confinements sur chaque individu. « Tous les ingrédients sont réunis pour que des personnes fragiles chutent », atteste le docteur Barry.

Le télétravail, par exemple, n’aurait pas été que bénéfique, bien au contraire. Il aurait aussi été vecteur de mal-être et donc d’addiction. C’est ce qu’observe le docteur Christine Camus Cartraud : « Le stress des enfants, le télétravail entre conjoints qui les oblige à être constamment ensemble, sont des facteurs de risque supplémentaires qui conduisent à ces pathologies ou a leur aggravation. » 

Parmi ses patients, elle a justement observé une montée de l’alcoolisme féminin, qu’elle explique par la persistance du travail à la maison, qui viendrait aggraver les relations au sein d’un couple et augmenterait la charge de travail de la femme.

« Isolement social », « incertitude liée au contexte global », « stress », « angoisse », « dépression », « peur de contracter la maladie », sont des états d’âme qui résultent de l’impact qu’a eu la crise sanitaire sur chaque individu.

« Avec le ou la conjointe à la maison 24 heures sur 24, la personne a souvent moins de liberté, ce qui peut augmenter son stress et parfois même la conduire à boire en cachette », illustre le docteur Christine Camus Cartraud. C’est pourquoi le service en addictologie de La Pommeraie accueille de plus en plus de couples en groupe, à deux, voire trois, par séance, selon les deux docteurs de l’hôpital extra-hospitalier adultes.

Les apéros virtuels sont aussi une des causes de ce basculement vers l’addiction. « Les gens se sont adaptés, atteste le docteur Barry. Quand vous allez quelque part pour prendre l’apéro avec votre voiture, vous faites attention. Mais, chez vous, dans le salon, on ne prend pas la voiture, il n’y a plus de limites, la police ne risque pas de vous contrôler. »

Et les supermarchés n’aideraient pas selon le docteur de la clinique d’Yveline, rapportant les témoignages de ses patients. Selon lui, certains supermarchés auraient réorganisé leurs rayons pour que l’alcool soit plus visible. « Depuis le confinement, les magasins ont disposé l’alcool tout de suite en rentrant », rapporte-t-il.

Pour les drogues, et notamment le cannabis, la consommation aurait quant à elle baissé pendant le premier confinement, selon les deux docteurs de La Pommeraie. Mais elle aurait augmenté dans la foulée, en raison d’une transformation du trafic de stupéfiants en livraison à domicile, également connu sous le nom de « Ubershit ».

En revanche, pour le tabac, les conséquences sont moins visibles, bien que la consommation ait augmenté, selon le docteur Christine Camus Cartraud. « Elles seront plus tardives. Si la consommation se maintient à ce niveau, on risque d’avoir des conséquences en termes de maladie plus tard », soutient-elle.

L’addiction aux jeux en ligne aurait quant à elle fortement augmenté. « Des personnes qui n’étaient pas des joueurs pathologiques le sont devenues, observe le docteur Imad Alzib. Ça permet de ne pas être seul, d’être en contact et d’échapper aux conditions actuelles. »

Tout comme les enfants et les écrans, sauf qu’il n’y a pas d’argent en jeu. Eux aussi ne sont pas épargnés. Également victimes de l’isolement, ils s’ennuient et se réfugient devant les écrans, où ils attendent le plus souvent leurs amis. « Si on m’enlève la PS4, je meurs », dira même un des enfants suivis, à la psychologue et psychothérapeute Camille Ballot.

Au sein de l’association Réseau santé sud Yvelines (Ressy), basée à Montigny-le-Bretonneux, la professionnelle a observé une recrudescence de l’addiction aux jeux vidéo. « Les enfants font beaucoup de crises quand les parents leur demandent d’arrêter, rapporte Camille Ballot. […] Ils se réfugient dans un monde virtuel, aussi parce que la réalité peut être angoissante. »

Les adolescents aussi, qui étaient déjà très portés sur les écrans, le sont encore plus aujourd’hui. Après de longs mois d’école à la maison, ils se seraient réfugiés sur leur portable. Il faudrait compter entre 12 h et 15 h d’écran par jour, quand ils ne sont pas à l’école, selon Guylaine Souazé, chargée de mission de santé au Ressy et intervenante en collège et en lycée. « Le week-end c’est non-stop, témoigne-t-elle. Et c’est très naturel pour eux. Il n’y a pas de souci. »

Cette situation renforcerait leur isolement, alors qu’ils le sont déjà en raison de la crise sanitaire. « Ils ont l’impression d’être entourés, mais, en fait, ils s’isolent, explique-t-elle. Une journée sans portable, ce n’est pas possible. Par exemple, ils gèrent mal le fait de ne pas pouvoir regarder leur téléphone s’ils reçoivent un texto alors qu’ils sont à table. »

« Avec le mari à la maison 24 heures sur 24, la femme a moins de liberté, ce qui augmente son stress et peut la faire boire en cachette », illustre le docteur Christine Camus Cartraud.

Cette coupure avec la réalité présente d’ailleurs des risques. Par exemple, en cas de harcèlement, ils n’ont plus d’échappatoire, puisqu’ils sont tout le temps sur leur portable, pointe Guylaine Souazé. C’est pourquoi, elle intervient dans plusieurs établissements de Saint-Quentin-en-Yvelines, comme le lycée de la Plaine de Neauphle, ou encore le collège Youri Gagarine à Trappes. Ce dernier a d’ailleurs bénéficié d’une intervention sur les écrans à sa demande en janvier dernier.

De manière générale, ces addictions ne se sont pas arrangées, selon la plupart des professionnels de santé interrogés. « On arrive à maîtriser le flux de ces nouveaux patients, observe le docteur Imad Alzib. Au deuxième confinement, on n’a pas eu de changement majeur. C’est resté progressif. On continue d’avoir de nouveaux patients et de nouvelles rechutes. »

La troisième quarantaine aurait été pire, selon le docteur Barry. « Plus la crise dure, plus le désarroi s’accentue. Les gens ne peuvent plus partir en vacances. Ils ne voient pas le bout et ça, c’est très angoissant, observe-t-il. Ce qui est préjudiciable pour les personnes vulnérables et fragiles. »

Alors aujourd’hui, l’arrivée du déconfinement inquiéterait même les professionnels de santé. « On va avoir d’autres répercussions qui risquent d’apparaître. Les gens vont à nouveau se lâcher, il est fort probable qu’il y ait un rebond. Ceux qui avaient diminué, vont repartir avec la reprise de la consommation sociale », fait l’hypothèse le docteur Christine Camus Cartraud. En effet, pendant la crise sanitaire, les consommateurs d’alcool social avaient baissé, mais avec la réouverture des bars et restaurants, ils risquent de rejoindre les autres patients.

CREDIT PHOTO 2 : ILLUSTRATION

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